Il a créé Lapinot en 1992 avant de le faire mourir quelques albums plus tard dans un accident de voiture. C'était en 2004. Treize ans plus tard, le bédéiste français Lewis Trondheim ressuscite son célèbre personnage dans un nouvel album qui aborde les thèmes de la bienveillance, du terrorisme et des médias.

La résurrection de Lapinot a été précédée par une heureuse apparition du héros à oreilles dans l'album Mildiou, paru ici il y a quelques mois. Dans Un monde un peu meilleur, sorti en librairie cette semaine, Lapinot porte un t-shirt noir avec une tête de mort, signe incontestable de son retour à la vie.

Mais à travers ses multiples projets, dont le magnifique album Coquelicots d'Irak, qui raconte la jeunesse de sa femme Brigitte Findakly (coloriste sur plusieurs de ses albums), pourquoi donc renouer avec Lapinot et son monde animalier?

«Parce que j'avais plein de choses à raconter sur notre société et que je ne voulais pas créer de nouveaux personnages pour le faire, nous répond Lewis Trondheim, au cours d'une entrevue téléphonique. Je ne l'ai pas repris pour le simple plaisir de le reprendre.»

Dès la première planche, Richard (le chat) pose la question à son ami: «Si tu mourais, tu voudrais que j'aille dans un univers parallèle où tu n'es pas mort et que je te ramène ici?» Ce à quoi Lapinot répond: «N'importe quoi.» Le ton est donné et nos amis s'engagent tranquillement dans une nouvelle aventure.

Fait divers

Tout commence par un fait divers. Lapinot laisse son numéro de téléphone sur le pare-brise d'une voiture défoncée par un conducteur enragé - dont il a noté le numéro de plaque. Parallèlement à cela, Lapinot et Richard font la connaissance d'un certain Gaspard, cobaye pour des laboratoires pharmaceutiques, qui grâce à un cocktail de médicaments «ressent» si les gens sont gentils ou méchants.

Dans toute cette histoire, l'ex-copine de Lapinot, Nadia, journaliste pour TNT News, se mêle de ces affaires, flairant le scoop. C'est entre autres par elle que Trondheim lance ses premières flèches aux médias.

«Le problème, c'est l'info en continu, nous dit-il. Depuis le 11 septembre 2001, les médias n'ont pas tiré la leçon de l'impact qu'ils ont sur les gens. Ils n'ont aucune barrière, aucune limite. C'est la course au scoop et même s'il n'y a rien à dire, ils vont répéter les mêmes nouvelles 50 fois l'heure, ce qui fait qu'on a l'impression qu'il y a eu 3000 attentats dans une journée plutôt qu'un seul. Ils participent à une psychose collective. J'irai même jusqu'à dire que certains médias sont coupables de complicité de terrorisme. Je dis ça et en même temps, je me moque de ceux qui le disent, donc ça contrebalance.»

Dans une réplique cinglante, le personnage de Nadia se défend de travailler pour un média trash. «Y a pas que du trash, dit-elle. Y a du people et du tendance...»

Toujours est-il que dans ces «nouvelles aventures» délicieusement absurdes, Lapinot veut faire le bien autour de lui. Et sa bonne action virera au drame - et même à l'intervention d'une escouade antiterroriste.

«D'un petit truc qu'il fait pour rendre service, ça finit en catastrophe. Plus il veut bien faire, moins ça marche. Le truc, c'est qu'il ne faut pas chercher à changer le monde qui est trop loin de sa sphère. On peut se changer soi-même et ceux qui nous entourent, mais on ne peut pas prendre n'importe quel inconnu dans la rue et le faire changer d'avis, c'est impossible.»

Pas facile, la vie

À travers le personnage de Gaspard, Lewis Trondheim a voulu montrer la difficulté de survivre dans la société actuelle. «Ce mec, il vit chez sa mère parce qu'il n'a pas de sous et il bosse comme cobaye pour des laboratoires pour se sortir du trou. Mais l'autre aspect de ce personnage qui m'intéressait est son désir de dire la vérité. On vit dans un monde de mensonges, mais jusqu'à quel point il est bon de dire toute la vérité? Ce n'est pas si évident.»

Évidemment, la relation entre Lapinot et Richard est le croustillant de l'album. Autant Lapinot est moralisateur, autant Richard est un déconneur qui n'a pas de filtre.

«Lapinot et Richard se complètent, nous dit Lewis Trondheim. L'un sans l'autre, ça ne marche pas. Lapinot est le boy-scout qui veut bien faire ; Richard est capable d'une très grande bêtise, mais il n'est pas complètement idiot. C'est un peu les deux facettes de moi-même. Ce que j'aime avec ces personnages, c'est que je les connais bien. Il suffit que je les mette dans une situation pour qu'ils agissent par eux-mêmes. Comme je suis très paresseux, ça m'arrange.»

Paresseux, paresseux... Lewis Trondheim travaille sur de nombreux projets. Non seulement il compte poursuivre la série Lapinot avec un autre album, mais il vient de terminer un deuxième album centré sur le personnage de Mickey. Il travaille également sur un projet d'albums de science-fiction à caractère comique. «J'aime faire plein de choses en même temps, admet-il. Vous savez, ce sont les vrais paresseux qui sont les plus efficaces.»

Et le dessin?

Les personnages animaliers de Lewis Trondheim, dessinés avec un trait minimaliste, ne sont pas le fruit du hasard. «À la base, je ne savais pas bien dessiner, nous dit le bédéiste. Donc il a fallu que je trouve un système graphique assez simple pour faire quelque chose. Mais c'est vrai que je suis plus de l'école de Disney, avec sa faune animalière. C'est ce que j'ai lu quand j'étais petit. Depuis, j'essaie de m'améliorer en dessin, pour ne pas me moquer du public, mais j'ai gardé ce style.» Au début des années 90, Trondheim a eu du mal à se faire publier, parce que ses personnages paraissaient enfantins, tandis que son propos était adulte. «On m'avait dit que ça ne fonctionnerait jamais. Il a fallu que je fasse publier moi-même mes albums [grâce à la fondation de L'Association].»

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Un monde un peu meilleur. Lewis Trondheim. L'Association. 46 pages.

image fournie par L’Association

Un monde un peu meilleur