D'aucuns crieront au sacrilège, d'autres salueront l'audace de cette innovation: Tintin au pays des Soviets, la toute première aventure du jeune reporter à la houppette créée par Hergé en 1929, s'offre une nouvelle jeunesse en se parant pour la première fois de couleurs.

La sortie en librairie en France, en Belgique en Suisse et au Canada de l'album colorisé est prévue mercredi.

Coédité par Casterman et les éditions Moulinsart, ce Tintin revisité bénéficie d'une nouvelle couverture mettant l'accent sur le mouvement et la vitesse. On voit une course-poursuite entre une voiture pilotée par Tintin et un avion quand l'original montrait un Tintin debout et assez statique devant les murs du Kremlin.

Publié à l'origine dans les pages du Petit Vingtième, le supplément hebdomadaire pour la jeunesse du journal catholique belge Le Vingtième siècle, Tintin au pays des Soviets détonne dans l'oeuvre d'Hergé. Il a fallu attendre 1999 pour que cet album, viscéralement anticommuniste, intègre la collection officielle des 24 aventures de Tintin.

De l'après-guerre jusqu'à la fin des années 1990, Tintin au Congo était considéré comme le premier album de Tintin. Au purgatoire sinon aux oubliettes, Tintin au pays des Soviets était vu au mieux comme un intéressant témoignage historique.

Il est vrai que Tintin y est quasi méconnaissable. «Le personnage n'est pas du tout élaboré», reconnaît Philippe Goddin, biographe d'Hergé. Tintin n'est pas le généreux jeune homme que nous connaissons mais un «matamore» qui «règle facilement son compte à des gens qui ne lui plaisent pas».

«Quand Hergé a démarré cette histoire (il avait 21 ans, ndlr), il ne pouvait évidemment pas s'imaginer que le personnage qu'il était en train de créer allait avoir du succès».

La version originale de Tintin au pays des Soviets est sortie en album en septembre 1930. Les 10 000 premiers exemplaires écoulés, Hergé s'était promis de redessiner cet album mais il n'en a jamais eu le temps.

Le travail de colorisation du seul album de Tintin resté en noir et blanc a commencé en 2014 à partir des planches originales. Il a été confié à Michel Bareau, directeur artistique des studios Hergé.

Un Tintin sans houppette

Opération marketing assurément (vendu 14,95 euros, environ 21 $, l'album colorisé bénéficie d'un tirage exceptionnel de 300 000 exemplaires), le lancement de ce «nouveau» Tintin permet également de redécouvrir un personnage dont on croyait tout connaître.

Des détails peu visibles dans la version en noir et blanc apparaissent en pleine lumière grâce à la colorisation (dans des tons pastels). L'histoire y gagne en lisibilité, en action et en humour. Lire ou relire Tintin au pays des Soviets fait irrésistiblement penser aux films de Charlie Chaplin ou d'Harold Lloyd tant le rythme du récit est trépidant.

L'anticommunisme de l'album - objet de polémiques durant la guerre froide - semble désormais presque anecdotique. En revanche, si dans la version remaniée après-guerre de L'étoile mystérieuse (1942) les deux cases caricaturant des Juifs avaient été supprimées, le tailleur chez qui Tintin achète un nouveau costume à Moscou dans la version colorisée de Tintin au pays des Soviets parle toujours avec un accent outrageusement caricaturé.

Certaines scènes font penser à des albums à venir (Le lotus bleu page 67, Les cigares du pharaon page 76, Tintin au Tibet page 82...).

Surtout on s'aperçoit, médusés, qu'au départ Tintin n'a pas de houppette! Quand il quitte Bruxelles pour Moscou via Berlin, le reporter aux culottes de golf a les cheveux collés au front.

Soudain, sur la dernière case de la page 7, alors que Tintin saute d'un arbre pour voler la décapotable de policiers allemands et démarrer sur les chapeaux de roue, sa mèche se redresse. «Maintenant à Moscou», lance le reporter désormais à la houppette.

Au total, près de 240 millions d'albums de Tintin ont été écoulés dans le monde à ce jour. Depuis la mort d'Hergé, en 1983, aucun nouvel album de Tintin n'est paru. Mais un million d'ouvrages (en français) continuent de se vendre chaque année.