Il y a une belle urgence chez Zviane. La prolifique bédéiste québécoise vient de publier À l'école, dans lequel on retrouve  les meilleures planches de La plus jolie fin du monde et Le quart de millimètre. La Presse a profité de ce retour à ses débuts en bédé pour mesurer son degré de bonheur et faire le tour de ses multiples projets.

Elle a déjà une douzaine d'albums au compteur, dont la populaire série L'ostie d'chat réalisée avec Iris, mais Sylvie-Anne Ménard, dite Zviane, court toujours. «Peut-être que je publie trop, admet-elle. Est-ce que j'ai tué des arbres pour rien? Je devrais peut-être faire un livre tous les trois ans, mais je travaille rapidement...», dit-elle, presque en s'excusant.

Sept ans après avoir décidé de se consacrer à la bédé, la compositrice de musique n'est pourtant jamais très loin.

Est-ce qu'aujourd'hui Zviane vit bien avec l'idée qu'elle ne fait plus de musique? «Non!», répond-elle dans un éclat de rire. 

«J'essaie encore d'en faire, je joue du piano et du ukulélé, j'ai même été prof de ukulélé cette année, mais c'est difficile, parce qu'on ne peut pas en faire 20 minutes par jour, c'est un peu tout ou rien...»

Dans À l'école, qui reprend les meilleurs moments de son blogue, elle revient justement sur ses débuts en bédé, son obsession de l'école, les nombreux parallèles qu'elle fait avec la musique, ses questions existentielles, l'abandon de sa maîtrise en composition et, à travers tout ça, la vie, toujours la vie. En texte et en dessins. Un album idéal pour faire la connaissance de cette énergique artiste.

La jeune femme de 33 ans revient sur ce choix déchirant qu'elle a fait en 2008, qui semble à la fois la hanter et lui procurer une liberté extraordinaire.

«Je devais me décider entre poursuivre ma maîtrise en composition avec une charge de cours à l'université et partir faire un stage en dessin à Angoulême, rappelle-t-elle. J'ai finalement choisi Angoulême ! J'ai fait des rencontres magnifiques, je me suis ouverte au monde et j'ai réalisé à quel point je vivais dans un cocon dans le monde de la musique... Mais, à mon retour, j'ai vécu une longue dépression...»

Tout recommencer

Cette dépression, elle l'a abordée dans son album Apnée. Ont suivi Le bestiaire des fruitsPain de viande avec dissonancesL'ostie de chatLes deuxièmesPing-Pong, etc. Autant d'albums réalisés dans des styles et des genres différents : autobiographique, humoristique absurde, science-fiction, action: pas question de se caser...

«Si je fais ça, c'est ma fin, annonce-t-elle. Parce que je sais que si j'ai une préférence pour un genre, je vais être trop à l'aise et je vais finir par faire la même affaire. Et je ne veux pas. J'ai ce fantasme-là de tout recommencer. De faire table rase, changer mon nom et dessiner dans un autre style complètement! lance-t-elle. Mes éditeurs n'aimeraient peut-être pas entendre ça, mais il y a des jours où je voudrais devenir quelqu'un d'autre.»

Alors, sur quoi travaillent toutes les Zviane ces temps-ci?

«Plein de choses, répond l'artiste longueuilloise, le sourire dans la voix. Je travaille sur un film d'animation pour l'ONF, La pureté de l'enfance [avec Guy Delisle, Lewis Trondheim et Aude Picault], je prépare un catalogue illustré des piscines publiques de Montréal, j'ai une nouvelle revue, j'ai commencé à publier les planches d'un album à venir, Football Fantaisie, qui met en scène deux jeunes filles poursuivies par des créatures de laboratoire, j'enseigne la bédé à l'École multidisciplinaire de l'image à Gatineau...»

On l'arrête. Tout ça, et puis la musique, qui n'est jamais très loin... «J'y pense encore beaucoup, mais en ce moment, je suis heureuse», laisse-t-elle tomber.

«C'est drôle, parce que mes albums, je les dessine un peu comme lorsque je compose de la musique, poursuit-elle. Je commence toujours par un moment fort de mon scénario, même si je ne sais pas encore si ce sera au début, au milieu ou à la fin, et puis je construis autour. Exactement comme en musique, où je pars avec une idée musicale, je griffonne un graphique, j'entends la musique dans ma tête et puis je compose ma pièce.»

D'un album à l'autre, Zviane aime aborder des thèmes différents, bien sûr, mais elle avoue aimer entretenir un flou éthique.

«Je n'aime pas la morale, explique-t-elle. Je n'aime pas les consensus sur ce qui est bien ou mal, quand c'est évident et qu'on ne remet rien en question. Il n'y a jamais de bons ou de méchants dans mes bédés. Les personnages sont en conflit, mais j'essaie de faire en sorte qu'on comprenne leur logique, leurs intentions, qu'on puisse s'identifier à tous les partis. J'essaie de représenter ma vision de la vie réelle; chaotique et sans vérité objective.»

Image fournie par Mécanique générale

À l'école, de Zviane