Quatre ans après l'immense succès de Jane, le renard et moi, Isabelle Arsenault et Fanny Britt nous proposent le très bel album Louis parmi les spectres. Cette fois, les deux complices, qui ont chacune deux fils, avaient envie d'une incursion dans l'univers des garçons. Louis et les spectres est une lettre d'amour aux hommes en devenir. Au moment où le débat autour de la culture du viol fait rage, Louis nous apprend que le plus courageux n'est pas celui qui fait usage de sa force, mais bien celui qui accepte de se montrer vulnérable. Les deux auteures commentent quelques planches du livre pour nous.

Amour

«La première histoire d'amour de Louis est assez centrale dans le livre, explique Fanny Britt. Dans cette planche, Louis, qui est en amour avec Billie, est très lucide. Il dit: "Je ne savais pas que l'amour c'est comme une roche qui nous explose le coeur [...] Ce que je savais, c'est que la plupart du temps, ça finit mal."»

«Fanny a tellement bien décrit ce feeling d'être amoureux, souligne Isabelle Arsenault. Comme quelque chose qui fait autant de mal que de bien, qui éclate en dedans... Je l'ai illustré comme une explosion de rayons jaunes, comme le pissenlit qu'on verra plus loin dans le livre. Cette couleur revient souvent. Je l'utilise quand Louis voit Billie la première fois. Le jaune, c'est le chemin, la lumière, l'espoir... À la fin, quand Louis va parler à Billie, il suit un chemin de pas jaune.» «C'est comme si les traces d'explosion avaient créé le chemin, renchérit Fanny Britt. Je voulais dire que les blessures créent des chemins et des possibilités et qu'on peut s'en servir pour avancer. Il y a quelque chose là que je trouve beau.»

Illustration tirée du livre Louis parmi les spectres, La Pastèque

Amitié

«L'amitié pour Louis est importante, explique Fanny Britt. Son ami Boris, c'est son compagnon, son confident "non jugeant". Il est tout aussi paumé que lui.»

En arrière-plan, on voit la Plaza Saint-Hubert. «Moi, j'aime nommer les lieux, poursuit Fanny Britt. J'aime dire qu'on est à la Plaza, c'est important. On a réalisé avec Jane que ce n'était pas du tout un problème que l'histoire se déroule au Québec. Au début, je me disais: ils vont vouloir l'adapter, lui donner une couleur locale, mais non, ils l'assument. Que ce soit en espagnol, en coréen ou en japonais, ils laissent tous Richard Desjardins chanter dans le tourne-disque. Ils ne changent pas l'orthographe des noms.»

«Par contre, c'est aussi important d'ancrer les choses dans des lieux intemporels, renchérit Isabelle Arsenault. Cette histoire-là se passe dans le présent, mais on ne voit pas d'iPhone, par exemple. On a essayé de ne pas aller dans les indices, les référents temporels. On sent qu'on n'en a pas besoin.»

Illustration tirée du livre Louis parmi les spectres, La Pastèque

Empathie

«On voulait rendre hommage à la douleur amoureuse des parents. On la raconte du point de vue de Louis pour se replonger dans cette lucidité et cette incompréhension qu'on a quand on est jeune et qu'on voit nos parents s'effondrer pour une raison ou pour une autre. Louis ressent que ce qu'il entend est grave, qu'il y a quelque chose de terrifiant quand sa mère dit: "On est tous en miettes de poussière..."»

«C'était facile de nous remettre dans la peau d'un enfant, d'un personnage immature, poursuit Isabelle Arsenault. Je suis quelqu'un d'hypersensible, nous sommes en fait deux timides introverties, et on a souvent l'impression d'être à côté de la "track".»

«Alors que les enfants sont dans la pure innocence, la confiance, Louis est déjà ailleurs, ajoute Fanny Britt. Il n'est plus dans la pure confiance, il sait quand ses parents lui mentent, il est dans la compassion. C'était important pour nous qu'il soit empathique. L'empathie n'est pas l'apanage des filles et c'est encore plus important de rappeler ces jours-ci que ce n'est pas un défaut d'être empathique, sensible aux autres, à l'écoute.»

Illustration tirée du livre Louis parmi les spectres, La Pastèque

Responsabilité

«Truffe est un personnage qui fait du bien, observe Fanny Britt. Il représente la naïveté, une espèce de pureté de vivre. Il est à ce moment de l'enfance juste avant d'être souillé par le jugement des autres, les déceptions. Il n'a pas peur de pleurer, d'être triste, heureux... C'est un état de grâce originel, comme un bébé dans son absolu. Truffe est important pour nous dans l'histoire, il vient désamorcer quelque chose de dramatique. Quand il est là, il rappelle à Louis sa responsabilité. Son petit frère est toujours en train de le regarder, il est conscient d'être responsable de son éducation même si ça l'agace. Ça me touche, car mes deux fils ont une grande différence d'âge et mon aîné, même si je lui dis qu'il n'a pas à faire cela, joue souvent le rôle du troisième parent. J'aime beaucoup le choix d'Isabelle de ne pas donner la même calligraphie à Louis qu'à Truffe. Le petit a une écriture de petit qui apprend à écrire alors que le grand est en train de prendre ses plis à lui. C'est très émouvant.»

Illustration tirée du livre Louis parmi les spectres, La Pastèque

Confiance

«Ces planches sont quasi muettes et elles trouvent leur écho dans les deux suivantes, en noir et blanc, explique Fanny Britt. On y retrouve beaucoup l'esprit du livre, cette idée de vouloir faire confiance aux adultes, de vouloir croire que son père est correct, qu'il est capable.»

«Il y a aussi l'espoir que New York a fait naître, ajoute Isabelle Arsenault. Je l'ai symbolisé avec l'apparition d'une troisième couleur. Puis, à l'arrière, il y a les fantômes qui réapparaissent, un peu comme le poids des non-dits, des problèmes qui reviennent à la surface. Les pages suivantes, en noir et blanc, c'est l'échec. Un gros "fail". Le même "fail" que lorsque Louis n'arrive pas à parler à Billie, c'est barbouillé, c'est un gâchis. J'ai utilisé l'encre de Chine, un médium que je n'ai pas utilisé dans Jane et que j'associe plus aux garçons, aux mangas, à la BD classique. Je l'ai utilisé comme quelque chose de dangereux, qui tache, qui est incontrôlable, sans retour.»

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Louis parmi les spectres. Isabelle Arsenault et Fanny Britt. La Pastèque, 154 pages. En librairie.

Illustration tirée du livre Louis parmi les spectres, La Pastèque