Albert Théière: petite fable nasale

Il flotte un chaleureux parfum d'Amélie Poulain dans les planches de cette petite fable nasale. D'abord dans les délicieux retours en arrière servis, comme dans le film de Jean-Pierre Jeunet, pour nous présenter cet antihéros aux bonheurs tout ordinaires.

Ensuite dans son univers juste assez suranné et décalé qui rappelle les contes d'enfant. Et enfin, dans la naïveté de cet homme bienheureux.

Sauf que le destin d'Albert prend un virage pas fabuleux le jour où une évidence lui saute au visage: son appendice nasal, ridiculement placé à l'envers, lui donne une tête de théière. Il voit soudain son passé... d'un autre angle. Cet homme auparavant sans complexe se trouve désormais si ridicule qu'il fuit les regards. Il échafaude une solution à un problème... qui n'en est pas un pour personne, sauf lui.

Par cette histoire aussi simple que son dessin, Matthieu Goyer nous rappelle bellement une leçon de vie: ne pas se créer des problèmes où il n'y en a pas.

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Albert Théière, Matthieu Goyer, Les éditions de ta mère, 85 pages.

Mon ami Dahmer: un tueur si proche

Le bédéiste américain Derf (The City, Punk rock & mobile homes) s'effondre lorsqu'il apprend en 1991 les crimes sordides de Jeffrey Dahmer.

Pour lui, «le cannibale de Milwaukee» n'est pas qu'un anonyme tueur en série (17 meurtres commis de 1978 à 1991). Dahmer et lui faisaient plus ou moins partie de la même bande au «high school». Son «ami» était déjà un personnage perturbé. Mais comment est-il devenu cet assassin psychopathe?

Hanté par cette question, Derf a déjà relaté dans des fanzines des souvenirs de leur adolescence. Insatisfait, il a refait ses devoirs. Il a rencontré les enquêteurs et les psychologues, lu des tonnes de rapports et retrouvé ses copains de l'époque.

Dans un graphisme punk en vogue à leur adolescence, ce bédéreportage raconte presque de l'intérieur la vie aberrante de cet ado à l'homosexualité refoulée, élevé dans une famille dysfonctionnelle.

Sans excuser Dahmer, Derf s'interroge aussi: comment se fait-il que tous les adultes sans exception aient détourné le regard devant cet ado en détresse?

* * * 1/2

Mon ami Dahmer, Derf Backderf, Édition ça et là, 222 pages.

Hasard ou destinée: la rôdeuse de l'esprit

À l'image des bêtes infernales qui rôdent dans ses cases, Becky Cloonan est une curieuse créature. Son style puise dans deux écoles de la bédé: des personnages de comics book américain pur beurre et une pureté narrative tout européenne. Résultat: un régal visuel au service de sombres contes oniriques.

Ce recueil réunit trois nouvelles autoéditées en anglais (Wolves, The Mire et Demeter) de 2011 à 2013. Des histoires courtes trempées de romantisme néogothique à la Maupassant et Stoker: un chevalier frôle la démence lors de la traque d'une bête démoniaque; un écuyer découvre ses origines bâtardes à la veille d'une bataille; la femme d'un pêcheur doit payer son dû à une mer diabolique.

Rien de bien neuf, côté inspiration. Pour la bédéiste, l'esthétisme semble souvent prendre le pas sur le texte. N'empêche que ses fins ouvertes laissent place à toute interprétation personnelle.

C'est là que Cloonan s'empare de notre esprit, sans laisser un espoir de repos. Une curieuse créature, disions-nous? Une démone.

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Hasard ou destinée, Becky Cloonan, Lounak, 104 pages.

Vercingétorix: le roi déchu

Les albums fidèlement historiques induisent trop souvent la désagréable impression de lire un manuel scolaire. Les grosses ficelles (scénarios alambiqués, personnages trop minces) ne servent qu'à relier quelques grands événements d'une époque.

En ce sens, cet album représente un tour de force d'équilibre fiction/réalité. Sa prémisse: une ultime rencontre entre Jules César et Vercingétorix. Capturé et se sachant condamné, ce dernier demande que l'histoire de sa rébellion soit consignée.

Comme le scribe assis aux côtés de l'empereur, on plonge alors dans les cruelles guerres de clans gaulois, les obligations d'allégeance et les semences de la révolte.

Élevé dans les légions romaines, le roi gaulois savait comment battre César à ses propres stratégies (fascinant regard d'ensemble sur les armes, les mouvements de troupes et fortifications militaires de l'époque). Mais au final, César fut le plus rusé, sans compter que la chance l'a souvent bien servi.

La fin de Vercingétorix n'est pas heureuse, mais ses dernières volontés sont exaucées: cet album garde sa mémoire vivante.

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Vercingétorix, Adam/Convard/Vignaux/Bourdin, Glénat/fayard, 54 pages.

Glorieux printemps, Tome 4: le début d'une nouvelle vie

Ce feuilleton rappelle à tous avec bonheur cet épisode charnière de nos vies: le dernier printemps avant la fin des études secondaires.

Avec une acuité étonnante, Sophie Bédard a capté en quelques centaines de planches toutes les angoisses et aspirations de ce passage obligé, avec ses rites quasi initiatiques: le bal chiant qu'on voudrait magique, l'ultime occasion d'accoster notre amoureux secret, les peurs de n'aller nulle part dans la vie, la folle envie de quitter sa famille, l'effritement d'une adolescence basée sur ses amis... Tout est là.

Dans ce tome final, diplôme en poche, les quatre copains (Émilie, Antoine, Mathieu et Micheline) doivent maintenant choisir chacun à leur manière d'aller de l'avant. Leurs voies se sépareront-elles? Est-ce la fin de leur belle amitié?

La conclusion semble un peu fleur bleue. Sophie Bédard sait se faire lucide et universelle, mais elle n'a pas l'esprit dramatique d'un Rabagliati (la série Paul) ni le regard caustique d'un Pascal Girard (Conventum). Mais elle nous donne le goût d'y croire.

* * * 1/2

Glorieux printemps, Tome 4, Sophie Bédard, Pow Pow, 172 pages.