Viva Mafalda! La petite héroïne anticonformiste créée par Quino en 1964 fête ses 50 ans mais «les questions qu'elle se pose sur la société parlent encore aux lecteurs d'aujourd'hui et sa vision reste d'une surprenante actualité», confie à l'AFP le célèbre auteur de BD argentin.

Cet anniversaire et les 60 ans de carrière de son illustre créateur sont célébrés au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, dans une superbe exposition qui a pour décor l'appartement où vivent Mafalda et ses parents.

Quino livre à travers les yeux de cette fillette issue de la classe moyenne argentine sa propre réflexion contestataire sur le monde. Mafalda n'aime pas la soupe et critique la gestion de la planète par les adultes, très concernée par les problèmes économiques et sociaux, les inégalités, l'injustice, la corruption, la guerre, l'environnement...

«Des expositions sont aussi prévues cette année en Argentine, en Italie, en Espagne, au Canada ou au Mexique», précise le scénariste et dessinateur de 81 ans dans un entretien à l'AFP par courriel depuis Madrid, où il réside une partie de l'année. Il habite le reste du temps à Buenos Aires et n'a pas pu, pour des raisons de santé venir à Angoulême.

Quelque 200 auteurs sont rassemblés pour ce festival, plus grand rendez-vous mondial de la planète du 9e art, qui a accueilli plus de 200 000 visiteurs en 2013. Présidé cette année par le dessinateur satirique néerlandais Willem, la 41e édition offre aux amateurs séances de dédicaces, spectacles, débats, expositions, animations jusqu'au 2 février.

«Cela me surprend de voir que mes dessins réalisés il y a 40 ou 50 ans correspondent à des problématiques contemporaines. Ainsi, l'an dernier, des épisodes de Mafalda sont sortis en Italie, déclinés par thème, politique, économie... Et c'était incroyable comme des dessins semblaient faire directement référence à la campagne de Berlusconi!», relève Quino, de son vrai nom Joaquin Salvador Lavado Tejon, né le 17 juillet 1932 à Mendoza de parents andalous.

Dès son premier recueil, Mundo Quino, en 1963, il est considéré comme l'un des meilleurs humoristes-graphistes de son pays. Mais c'est sa petite héroïne brune au noeud rouge dans les cheveux qui le fait connaître dans le monde entier à partir de 1964. Il avait esquissé le personnage un peu plus tôt... dans une publicité pour de l'électroménager. Mafalda sera l'unique série de Quino.

«Mafalda n'a été qu'une parenthèse dans mes soixante années de carrière», dit-il. «Quand je l'ai créée, cela faisait onze ans que je publiais des dessins humoristiques et j'ai continué après avoir mis un terme à ses aventures en 1973», explique Quino, qui s'était exilé à Milan après le coup d'état militaire de 1976. «C'est mon pire souvenir, être loin de mon pays, de ma jeunesse», avoue-t-il.

«J'ai arrêté Mafalda par lassitude de dessiner toujours les mêmes personnages. Et puis, ma femme en avait assez de ne jamais pouvoir aller au cinéma, recevoir des amis parce que je travaillais sur la BD», s'amuse-t-il. Il a depuis bâti une oeuvre pleine d'humour et de poésie, sans héros récurrent.

«L'humour est universel»

«Je n'avais jamais imaginé poursuivre Mafalda pendant une décennie. Ni surtout qu'elle survivrait jusqu'à nos jours», assure-t-il avec modestie. Les albums n'ont cessé d'être réédités dans le monde. En France, Glénat ressort une Intégrale Mafalda, lance une collection jeunesse, La petite philo de Mafalda et publiera Quino, 60 ans d'humour en mars.

L'auteur s'étonne-t-il de sa consécration internationale? «L'humour est universel. Je ne crois pas qu'il puisse changer le monde, mais ça aide. C'est le petit grain de sable qu'on peut apporter pour tenter de modifier les choses... Les thèmes de Mafalda sont aussi universels. En Chine, en Finlande ou en Amérique latine, les problèmes des rapports parents/enfants sont les mêmes. Bon, peut-être pas en Chine avec l'enfant unique», plaisante-t-il.

On dit que Mafalda est l'Argentine la plus célèbre du XXe siècle: «C'est dans mon pays qu'elle est la plus connue et la plus vendue mais aussi au Mexique, en Espagne, en Italie...».

Mafalda est aussi souvent considérée comme une petite soeur des Peanuts. «C'est un peu un mélange de Blondie et des Peanuts. Mais Charlie Brown vit dans un monde enfantin. Mafalda, elle, vit un dialogue permanent avec le monde hostile des adultes».

Quino ne dessine presque plus, ses yeux sont trop fragiles. Lui qui rêvait de changer le monde, veut encore croire à un avenir meilleur: «C'est une nécessité, même si, dans le fond, nous savons que tout continuera comme avant...»