À 75 ans, l'aventure continue plus que jamais pour Spirou, le groom le plus populaire de la BD, dont le prochain défi est de conquérir les écrans des tablettes numériques, étape indispensable sur la route du centenaire.

Sans un cheveu blanc sous son calot rouge, Spirou a célébré avec faste son anniversaire mardi à Bruxelles, en présence de nombreux auteurs du 9e art.

«Pour un héros né il y a si longtemps, Spirou est plutôt bien conservé», témoigne Yoann, le Français qui a dessiné les trois derniers albums des aventures du héros né officiellement le 21 avril 1938. «Il reste toujours, pour les gamins, un personnage auquel ils peuvent s'identifier, même s'il porte un uniforme aussi daté» que celui de groom d'hôtel.

Yoann le voit d'ailleurs atteindre «sans problème» les 100 ans en 2038, une ambition que Spirou partage avec Lucky Luke ou Astérix, les autres doyens toujours en activité de la BD franco-belge.

Pour cela, Spirou n'a d'autre choix que de se lancer dans le numérique, une évolution jugée «indispensable pour attirer les jeunes lecteurs, ceux qui sont nés avec internet», explique Olivier Perrard, le directeur général de la maison d'édition belge Dupuis.

Cette nouvelle ère débute avec le lancement, officialisé mardi, de Spirou.Z, l'application du Journal de Spirou pour les tablettes.

Son ambition est «d'abolir les frontières entre BD, animation et jeux vidéo» en offrant un contenu totalement différent de l'hebdomadaire et réalisé par des auteurs maîtrisant les codes du numérique, comme Arthur de Pins, Steve Baker, Libon ou Mady Malec.

Le défi est délicat à relever car «le mode de lecture de la BD est très différent entre le papier et le numérique», souligne Olivier Perrard.

Sur tablette, la BD se lit en effet «case par case» en mode «turbomedia», sorte de «flip-book» numérique, ou en «scroling», par défilement horizontal ou vertical.

Les lecteurs semblent encore réticents et la diffusion numérique de la BD franco-belge reste marginale, contrairement aux mangas, qui se dévorent de plus en plus sur téléphones intelligents au Japon, ou aux comics aux États-Unis. Le Journal de Spirou n'a ainsi qu'un millier d'abonnés sur la plateforme numérique Izneo, lancée par de grandes maisons d'édition, contre quelque 60 000 pour le magazine papier.

«Héros transgénérationnel»

Pour Spirou, l'autre défi est de cultiver la fidélité de ses lecteurs. Car un grand nombre d'entre eux continue à suivre ses aventures bien des décennies après l'avoir découvert à 8, 9 ou 10 ans. «Spirou est un héros transgénérationnel. Un album est souvent lu à la fois par les enfants, les parents et les grands-parents», témoigne Serge Honorez, le responsable éditorial de Dupuis.

Ce succès est en partie lié à la grande flexibilité de Spirou, un héros qui défie les lois du vieillissement en évoluant avec son temps, du fracas de la Seconde Guerre mondiale à la mondialisation d'aujourd'hui en passant par l'Afrique décolonisée des années 1960.

Contrairement à son rival Tintin, à jamais l'oeuvre d'un seul homme, Hergé, Spirou n'appartient pas à ses auteurs mais à son éditeur Dupuis, qui le confie le temps d'un ou de plusieurs albums.

Depuis sa création, en avril 1938, près de 30 auteurs se sont ainsi succédé sur la soixantaine d'albums Spirou. Le plus célèbre d'entre eux reste André Franquin, qui lui a fait courir le monde pendant 20 ans et a inventé une galerie de personnages truculents, du comte de Champignac au savant mégalomane Zorglub en passant par le génial Marsupilami.

«Chaque auteur doit rester fidèle au caractère de Spirou - sa générosité, sa curiosité et sa bonne humeur - tout en régénérant le personnage. C'est comme cela qu'il reste toujours actuel», témoigne Yoann, qui prépare les deux prochains albums avec le scénariste Fabien Vehlmann.

Les 75 ans de Spirou sont célébrés par la publication d'une série de recueils et par deux grandes expositions au Centre belge de la BD à Bruxelles (jusqu'au 24 novembre) et à la Cité internationale de la BD d'Angoulême (du 29 juin au 6 octobre).