India Desjardins fait une première vraie coupure avec son héroïne fétiche Aurélie Laflamme en publiant La célibataire, sympathique bédé au rose bonbon assumé, dont le personnage principal ressemble étrangement à son auteure.

Nous avons rencontré India Desjardins chez elle, dans son appartement du Plateau Mont-Royal, le matin du lancement de La célibataire. Fébrile et de bonne humeur, elle était loin de la jeune femme inconsolable que la collègue Sylvie St-Jacques a interviewée l'automne dernier, alors qu'elle mettait un point final, après huit tomes, à l'aventure d'Aurélie.

India Desjardins sourit. «Je sais... Je n'avais jamais pensé que je serais si nostalgique, que ce serait si difficile de me réveiller le matin sans Aurélie.»

L'auteure avait besoin d'un projet différent, et elle avait dans ses cartons des idées pour une bande dessinée de style chick lit. Lorsque ses éditeurs chez Michel Lafon, en France, ont montré leur enthousiasme pour ce projet, elle s'est mise au travail sérieusement. «Ils m'ont montré une série de portfolios d'illustrateurs, et quand je suis tombée sur celui de Magalie Foutrier, j'ai tout de suite su que ce serait elle, même si elle n'avait jamais fait de bédé.»

Les deux femmes ont travaillé chacune de leur côté de l'Atlantique, India au scénario, Magalie à la mise en scène, échangeant par courriel et par Skype. «Nous partageons le même univers, c'est un mariage parfait. C'était incroyable, quand j'ai vu ses premiers dessins, c'est comme si je retrouvais sur papier exactement ce que j'avais dans la tête.»

Le résultat est la bédé de ses rêves, «drôle, élégante, féminine, avec de la tendresse aussi», série de saynètes punchées dont chaque planche est indépendante, mais qui sont organisées dans une suite logique pour en faire un récit bien précis. Il n'a jamais été question pour elle d'écrire un roman. «Je voulais faire une coupure dans l'écriture, me défaire de mes habitudes avec Aurélie. Et puis, on ne trouve pas ici ce genre de bédé, qui existe en France, alors que des romans, il y en a vraiment beaucoup. J'ai voulu offrir une autre vision et écrire quelque chose que j'avais envie de lire!»

Pour tout le monde

La célibataire raconte donc l'histoire d'une jeune femme attachante et maladroite qui se remet difficilement d'une rupture amoureuse et pour qui la recherche de l'âme soeur n'est pas de tout repos. Rêveuse, légèrement égocentrique, bien dans sa peau , «la célibataire» sans nom doit souvent se battre contre sa propension à saboter tout début de relation par des observations superficielles - elle élimine un «prospect» qu'elle imagine chauve dans cinq ans, un autre à cause de sa barbe forte qui lui irrite la peau... «Elle est souvent l'artisane de son propre malheur. C'est sûr que le décalage entre ses attentes et la réalité est immense. Dans le fond, elle a peur de l'engagement, mais ne veut pas se l'avouer.»

Humour et autodérision

Elle souffre aussi d'insécurité chronique et perd toute rationalité dès qu'il est question des hommes, alors que sa vie professionnelle est, évidemment, une réussite. Pas de doute, on est dans de la pure chick lit légère et girly. Et India Desjardins l'assume complètement. «La première planche est claire, on voit d'un côté les nouvelles importantes et sérieuses de ce qui se passe dans le monde, et de l'autre côté le personnage prend un bain et prie pour avoir un chum. Ça dit en partant: voilà où on est.»

Heureusement, La célibataire est plein d'humour et d'autodérision. «Je ne ris pas des gars là-dedans, au contraire!», dit India Desjardins, qui ajoute que les situations sont souvent inspirées de faits vécus, que son personnage lui ressemble, mais que le tout est grossi par les traits humoristiques. «J'aime les livres auxquels je peux m'identifier. Et je pense que c'est ce qui fait que les jeunes ont tellement aimé Aurélie, et que les gens pourront aimer La célibataire

La populaire auteure estime qu'elle a pris un risque avec ce virage et a hâte de voir comment son livre sera reçu. «Je ne tiens rien pour acquis.» Elle ne vise aucun public précis - «J'écris des histoires, les gens décident lesquelles ils ont envie de lire» -, mais même si c'est son premier projet pour adultes, ses jeunes admirateurs qui ont grandi un peu pourront facilement le lire. «Ça s'adresse à tout le monde, comme une comédie romantique. Ce n'est pas interdit aux gars non plus! Moi, je lis des trucs qui sont très gars, des histoires de superhéros, pourquoi pas le contraire?»

Cet automne, India Desjardins a l'intention de profiter des salons du livre pour rencontrer ses lecteurs. En France, où sa carrière va bon train, le tome 7 d'Aurélie sort cette semaine, et La célibataire sera en librairie au début de novembre. Elle travaille aussi tranquillement au scénario d'un deuxième film d'Aurélie Laflamme, caresse le projet d'un conte de Noël avec les éditions La Pastèque pour 2013, et est prête à écrire un deuxième tome de La célibataire.

«J'attends juste de voir si celui-ci va marcher avant de me lancer. Mais j'ai déjà plein d'idées pour un deuxième, c'est certain.» La célibataire va-t-elle se refaire un chum? India Desjardins ne répond pas... «En fait, dans ma tête, j'ai toute une structure dramatique qui s'étend sur trois livres...» Parions qu'elle se rendra jusqu'au bout.

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La célibataire. India Desjardins et Magalie Foutrier. Michel Lafon.



Les bédés préférées d'India


India Desjardins adore la bande dessinée, en lit depuis qu'elle est toute petite et aime se tenir au courant de ce qui est publié. Voici quelques-unes de ses préférées.

> Archie

«Jeune, je ne voulais rien savoir de la lecture. Puis j'ai découvert les Archie, que j'ai dévorés. J'adorais ça, j'aimais le côté gang, je m'identifiais beaucoup à eux. C'est après avoir lu Archie que je suis devenue une grande lectrice.»

> Mafalda

«C'est mon coup de coeur éternel. J'aime son sens de la répartie et son non-conformisme. Je les ai tous lus et relus.»

> La série des Paul

«J'aime et j'admire Michel Rabagliati, qui a laissé une carrière établie pour faire de la bédé. Depuis, il est devenu une référence, autant ici qu'en France.»

> L'oeuvre de Claire Bretécher

«Les frustrés, c'est drôle, décapant. Son univers ne ressemble pas du tout au mien, mais Bretécher est une pionnière, un tournant dans l'histoire de la bédé féminine et féministe.»

> Les nombrils

«Dubuc et Delaf, ce sont mes idoles. Ils me font rire aux éclats. La caricature est poussée, ils osent dans leur écriture, ils prennent des risques. Et puis je les trouve cute, de travailler en couple, de tout faire à deux...»