Si les murs pouvaient parler, ils en auraient long à raconter, dit-on. Un bédéiste prend l'expression au pied de la lettre et relate une période cruciale de la vie de David Bowie du point de vue de la maison où il a vécu.

Haddon Hall est le genre de bouquin qui ne passe pas inaperçu dans une pile de livres. Sa flamboyante couverture aux couleurs franches (bleu, rouge, jaune, vert, rose...) donne l'impression de crier pour attirer l'oeil. La stratégie fonctionne et, surtout, colle parfaitement à son sujet, c'est-à-dire à ce chanteur au style poétique né David Robert Jones qui, au fil des pages, va devenir l'icônique David Bowie.

Néjib replonge au tournant des années 70. La fin des Beatles est proche. Bowie se cherche encore. Space Oddity a été remarquée, mais il peine à s'extirper de la masse. Sa relation avec Marc Bolan (T-Rex) est plus que teintée de rivalité. Haddon Hall, l'immense demeure où il vit avec Angie (qui n'est pas celle de la chanson des Stones) est le théâtre de fêtes pas mal sexe, drogue et rock'n'roll, mais abrite aussi les angoisses d'un songwriter désespérément ambitieux.

Les murs qui ont des oreilles disent-ils pour autant la vérité? Haddon Hall, ne serait-ce qu'en s'appuyant sur un «narrateur maison», affiche d'emblée sa fictionnalité. Les mordus de Bowie tiqueront sans doute ici et là. Syd Barrett a-t-il été, même brièvement, le coloc de Bowie? Le futur Ziggy Stardust a-t-il subi un électrochoc à un concert d'Iggy Pop et s'est-il baladé en limousine avec un John Lennon déprimé? Aucune idée. Mais en réunissant toutes ces icônes dans un même album, Néjib tricote une bonne histoire.

Son approche visuelle colorée et stylisée participe pleinement à une habile évocation d'époque, en particulier à travers le soin apporté aux vêtements et autres accessoires de mode. Haddon Hall étonne par ailleurs par sa mise en scène éclatée (pas de cases et une abondance de séquences déployées sur une planche entière) et sa manière opulente qui, pourtant, s'avèrent d'une grande lisibilité. Le regard ne déraille pas et l'intéressant récit se déploie le plus naturellement du monde, comme une mélodie alambiquée d'une beauté étrange.

Son fantôme d'amie

Vera Brosgol, bédéiste américaine d'origine russe, signe un fort beau portrait de l'adolescence avec son premier roman graphique, Le fantôme d'Anya. La jeune fille du titre est une fille d'immigrant russe qui passe assez inaperçue dans les couloirs de son école secondaire. Quand ça lui évite les humiliations subies par Dima -une tronche d'origine russe, elle aussi-, elle ne rechigne pas. Mais si cela la rend invisible aux yeux du beau Sean, elle déprime.

Un jour où elle broie du noir, elle chute dans un puits désaffecté situé dans un parc. Lorsqu'elle retrouve ses esprits, elle se trouve face au fantôme d'une jeune fille assassinée 90 ans plus tôt et qui, après l'avoir aidée à se sortir du trou, s'accrochera désespérément à elle et voudra l'aider à être heureuse. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle...

L'envie de plaire est au coeur de ce bouquin sensible qui, grâce à sa touche de surnaturel, explore avec légèreté et une touche de suspense les déchirements de l'adolescence. Son récit, parfaitement maîtrisé, s'appuie sur un trait plein de rondeur qui peut rappeler celui de Marjane Satrapi (Persepolis, Poulet aux prunes). Vera Brosgol, elle, ne se limite toutefois pas au noir et blanc contrasté. Elle manipule avec soin toutes sortes de teintes de gris qui confèrent à son dessin un caractère nuancé adéquatement agencé au récit.

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Haddon Hall Quand David inventa Bowie. Néjib. Gallimard, Non paginé.

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Le fantôme d'Anya. Vera Brogsol. La courte échelle, 221 pages.