La sympathique série Magasin général se poursuit avec la parution d'un septième tome, Charleston. Un parfum de libertinage flotte sur le village de Notre-Dame-des-Lacs alors que ses habitants apprennent à danser...

Magasin général avance à un rythme qui lui est propre, c'est-à-dire lent comme le fil des saisons. L'avantage, c'est qu'il permet aux auteurs de faire preuve d'une grande finesse dans le développement des liens entre les personnages et des intrigues intimes qui en découlent. L'ennui, c'est qu'il faut parfois un album complet pour mettre en place les pièces d'un puzzle qui ne sera exploité que dans le suivant.

Ernest Latulipe, paru en 2010, était l'un de ces albums de transition. La gentille Marie, fraîchement rentrée à Notre-Dame-des-Lacs, racontait ses aventures dans la grande ville (et lues dans Montréal) pendant qu'en parallèle, on s'agitait pour sauver Mathurin Latulipe, frère d'Ernest, gravement blessé par un ours.

Marie, veuve depuis le premier tome de la série, continue de s'émanciper dans Charleston. Elle ne restera pas longtemps indifférente à Ernest Latulipe, que Serge lui-même juge «bien bâti». En plus, l'homme des bois a pris la peine de se raser la barbe. Selon la grammaire du langage non verbal de ce village reculé, c'est un signe indéniable d'une volonté de séduire. L'envie de lâcher son fou est forte dans le village à l'approche de l'hiver, qui annonce le départ des hommes pour les chantiers.

La manière délicate de Loisel et Tripp touche encore après toutes ces années. Sous la légèreté de Charleston se devine une suite qui devrait être moins réjouissante pour la gentille Marie. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle. La série flotte dans une bulle de bons sentiments depuis que Serge a été accepté dans la communauté et un peu de tension dramatique ne nuirait pas. Seule déception ici: le dessin et la mise en couleur, toujours charmants, ont perdu du lustre à l'impression comparativement aux albums précédents.

Magasin général T. 7 - Charleston

Loisel & Tripp

Casterman

*** 1/2

Autres parutions

Hitler de Shigeru Mizuki (Éd. Cornélius)

*** 1/2

Surtout connu comme auteur de manga d'horreur, Shigeru Mizuki a aussi consacré deux livres à la Seconde Guerre mondiale: Opération Mort, inspiré de son expérience de soldat dans l'armée japonaise, et Hitler, dans lequel il relate la trajectoire politique et guerrière du Führer. En près de 300 pages apparemment bien documentées, il fait le portrait d'un artiste raté, colérique, qui se considérait comme un génie méconnu et qui se révélera un stratège diabolique. Mizuki passe vite sur les atrocités commises contre les Juifs. Il cherche d'abord à comprendre comment cet homme a pu «faire tourner la tête au peuple allemand et devenir le pire dictateur de l'Histoire». Sa lecture des événements, axée sur les stratégies politiques et les jeux d'alliances militaires, est fascinante. Mizuki garde aussi une distance habile avec son sujet à travers un dessin et un ton tragi-comiques, qui évitent toute glorification du Führer et des horreurs qu'il a commises.

L'apogée des dragons T. 1 - L'héritage ancestral de Corbeyran et Rodier (Soleil)

***

Rare dessinateur québécois à avoir fait carrière dans le comic book américain (Action Comics, Superman), Denis Rodier renoue avec l'univers historico-ésotérique de l'Ordre des dragons. Dans ce nouveau cycle, le combat pour la domination du monde par les forces du Mal se poursuit et c'est Ernst Schäfer, ex-nazi, qui doit le sauver. Se pourrait-il que le suicide de Hitler ne soit qu'une mise en scène?

Fraternity T. 2 de Diaz Canales et Munuera (Dargaud)

**

Le diptyque Fraternity ne laissera pas un souvenir impérissable. Ses qualités visuelles sont grandes - en particulier sa mise en couleur -, mais le scénario de Juan Diaz Canales (Blacksad), qui tourne autour d'une collectivité utopiquement égalitaire à l'époque de la guerre de Sécession, s'avère faible. L'élément fantastique de l'histoire, sous-exploité, semble finalement bêtement plaqué.