Difficile de dire non à Robert Lepage. Pourtant, lorsque le célèbre metteur en scène l'a pressenti pour une adaptation du Dragon bleu en bande dessinée, Fred Jourdain a hésité. Deux ans plus tard, l'illustrateur est heureux d'avoir plongé dans cette aventure qui lui a permis d'exploiter une autre facette de son talent et de coucher l'univers de Lepage sur papier.

Ce n'est pas par manque d'intérêt que Fred Jourdain était réticent à mettre en images Le dragon bleu, signé Robert Lepage et Marie Michaud. Au contraire, lorsqu'il a assisté à l'avant-première montréalaise de la pièce, en 2009, l'artiste de 26 ans a été immédiatement séduit. Il ne s'était en revanche jamais vraiment lancé dans la bédé et il avait des réserves quant à l'idée d'aborder ce projet de manière classique, comme aurait pu le faire un Hergé, par exemple, source d'inspiration pour les auteurs avec Le lotus bleu.

«Durant notre première rencontre, j'ai posé plusieurs questions, car je ne croyais pas être la bonne personne pour faire une bédé à l'européenne, qui tenait en 46 pages, raconte Jourdain. Mais Robert était ouvert à mes propositions. Il m'a dit de partir avec mes idées et de lui proposer quelque chose.»

Oeuvre hybride

Se plonger dans Le dragon bleu a forcé Jourdain à sortir de sa zone de confort. Actif professionnellement depuis 2004, le dessinateur de Québec s'était fait un nom grâce à ses portraits de figures célèbres du rock, de la chanson québécoise, du jazz ou encore du cinéma. C'est d'ailleurs en voyant ses oeuvres exposées dans divers bars et cafés que l'équipe d'Ex Machina s'est intéressée à lui.

Jourdain a passé près de trois mois à noircir du papier avant de trouver la piste qu'il voulait exploiter. Son Dragon bleu a pris forme en mariant des séquences typiques de bédé avec de grands tableaux muets qui s'étendent sur deux pages de même qu'avec des passages où, en marge des illustrations, on peut lire des dialogues.

Claire Forêt, qui s'apprête à aller adopter un enfant en Chine, prend donc vie en deux dimensions, tout comme son ancien amoureux, Pierre Lamontagne, qui réside dans l'empire du Milieu et fréquente la jeune peintre Xiao Ling, enceinte malgré elle.

«Mon but était de faire quelque chose d'hybride, car c'est une histoire où il y a beaucoup de dialogues. Le risque avec une bédé classique aurait été de se retrouver avec des bulles très chargées de textes, à la Blake et Mortimer, et avec des cases alternant toujours entre champ et contrechamp.»

Carte blanche

Les propositions de Jourdain ont été reçues avec enthousiasme par Lepage et son équipe, si bien que le dessinateur dit avoir eu carte blanche ou presque. Au fil des 176 pages de l'album, Jourdain met l'histoire à sa main en usant de diverses techniques, traditionnelles - comme le pinceau - ou modernes - comme la coloration numérique. Il présente les personnages à sa manière: Pierre ressemble vaguement à Lepage, tandis que Claire est davantage stylisée. Il mise sur les couleurs, question de bien installer les ambiances, et s'efforce de rendre avec précision les lieux décrits.

«Je ne suis pas allé en Chine, mais ça m'a donné le goût d'y aller. Si je n'avais pas fait ce projet-là, je n'aurais pas été en contact avec la culture orientale», dit-il.

La parution de l'album, mercredi, se doublera d'une exposition durant le Salon du livre et le Festival de la bande dessinée de Québec. Une série de tableaux retracera la genèse du projet. Jourdain mijote également d'autres expositions consacrées au Dragon bleu: l'une à Montréal, à la galerie L'aire libre de la librairie Monet, à compter du 26 avril. Il compte enfin s'atteler à d'autres initiatives où son savoir-faire de portraitiste sera mis à contribution. La bédé sera-t-elle au rendez-vous?

«Je n'ai pas envie de faire carrière comme bédéiste, soutient-il, mais si quelque chose comme Le dragon bleu se pointe, c'est tellement enrichissant que j'embarquerais.»

Illustration: Fred Jourdain, tirée du Dragon bleu