Salon du livre de Montréal 1997. Trois participants à une table ronde discutent de l'état de santé de la bande dessinée québécoise. Leur constat est déprimant: pas de lecteurs, pas de marché. Pas d'avenir.

N'importe qui serait sorti de là le moral à plat. Frédéric Gauthier, lui, était furieux. «Je les trouvais tellement déconnectés de la réalité.» À ses yeux, la bédé était tout sauf moribonde. «Je travaillais à la librairie spécialisée La Mouette rieuse et je baignais dans un marché en pleine effervescence. On voyait naître des petites maisons d'édition françaises, comme L'Association, qui renouvelaient complètement le genre.»

 

Martin Brault travaillait aussi à la défunte librairie de la rue Saint-Denis et sentait ce vent de changement souffler sur la bande dessinée. «Les clients n'étaient pas du genre à attendre le prochain Buck Danny. Ils voulaient de la fiction, du littéraire, du romanesque...» Seulement, la production québécoise les laissait sur leur faim.

Personne au Québec ne semblait vouloir donner aux lecteurs des phylactères dignes d'intérêt? La volonté entrepreneuriale frôlait le zéro absolu? Les deux hommes ont pris le pari de contrer la morosité du milieu. «On s'est dit: on va en lancer une, maison d'édition, rapelle Martin Brault en riant. On avait 24 ans. On était jeunes, impétueux. Et naïfs. On a appris à la dure. Je ne referais jamais un truc pareil aujourd'hui!»

Ils auraient pu baptiser leur maison d'édition Les Inconscients. Ou Le Saut dans le vide. Ils ont plutôt choisi La Pastèque, en hommage à Sucre de Pastèque, de Richard Brautigan. «Le nom ne fait pas trop BD. Et il se prononce bien en anglais», explique Frédéric Gauthier.

Dès les premiers balbutiements de leur entreprise, les deux hommes ont su qu'ils voulaient exporter leurs produits. En France, d'abord, où ils ont tissés de nombreux contacts à l'époque de La Mouette rieuse. Mais aussi partout où les lecteurs avaient soif d'une bédé différente. Aujourd'hui, la moitié de leur tirage est vendu en France. Et des 67 titres contenus dans leur catalogue, plusieurs sont traduits en anglais, mais aussi en espagnol, en allemand, en italien...

Le coup de foudre Rabagliati

La première parution de La Pastèque, le collectif Spoutnik 1, sort en décembre 1998. Un inconnu se pointe par hasard au lancement accompagné de sa fille. Une semaine plus tard, il fait parvenir aux deux jeunes éditeurs une copie boudinée de Paul à la campagne. C'est le coup de foudre instantané. «Il nous a fallu une nanoseconde pour comprendre qu'on tenait un trésor, dit Martin Brault. Le style de Michel Rabagliati était exactement ce qu'on cherchait. En plus, il possède un talent de conteur inné.»

Le premier Paul est d'abord imprimé à 1000 exemplaires. Il en est aujourd'hui à sa huitième réimpression. Le prochain tome de la série, Paul à Québec - dont la sortie est prévue pour avril - bénéficiera d'un tirage initial de 15 000 exemplaires...

Si le succès de La Pastèque est intimement lié à celui de leur auteur phare, le petit éditeur s'est bâti un créneau bien à lui avec ses albums aux styles graphiques innovateurs et son esthétique irréprochable. «On a un intérêt pour le design, le papier, les beaux livres, dit Martin Brault. On ne publie que ce qui nous fait craquer sur le plan graphique. Il n'y a aucune recette. On choisit à l'instinct. Et on privilégie les projets hors-normes.»

Les deux éditeurs sont animés du désir évident de bousculer les conventions du neuvième art. Les carcans, l'édition formatée, les albums 48 pages couleurs à couverture cartonnée... Pas pour eux. Pour chaque titre, ils varient le format pour mieux servir la plume et le pinceau des auteurs. Résultat: on ne sait jamais à quoi va ressembler le prochain album.

Un indice toutefois: Harvey (dont les textes sont signés par le poète Hervé Bouchard) aura toutes les allures d'un roman. Et il devrait être classé comme tel dans les librairies.

La Pastèque célèbre ses 10 ans d'existence, mais malgré le temps qui passe, l'éditeur continue de se faufiler là où personne ne l'attend. Qui d'autre aurait osé publier un bouquin alliant bande dessinée et cuisine (L'appareil)? Ou un livre de naissance au titre aussi évocateur que La bête?

Les panelistes moroses du Salon du livre n'en reviennent sans doute pas. La bande dessinée québécoise est en pleine ébullition. Et La Pastèque y est pour beaucoup.

 

Paul a un t-shirt personnalisé

Il n'a pas encore la popularité d'un Tintin ou d'un Gaston Lagaffe, mais le Paul de Michel Rabagliati possède depuis peu des produits dérivés à son image. La librairie spécialisée Planète BD propose une gamme de t-shirts exclusifs aux couleurs de Paul ou de sa douce, Lucie. Modèles pour hommes et femmes, dans plusieurs tailles et couleurs. Prix: 24,95$ pour hommes; 26,95$ pour femmes. Notez que Michel Rabaglaiti sera à la librairie (3883, rue Saint-Denis à Montréal) pour une séance d'autographes le 21 décembre, de 14 à 16h.

Informations: 514-759-9800  

Dix bons coups de la Pastèque

Paul en appartement

Michel Rabagliati

«Les cinq tomes ont connu un immense succès, mais Paul en appartement a lancé la série. Le travail de Michel a ouvert des portes pour la Bédé québécoise. Incontournable.»

L'Appareil

Collectif

«Un album hybride qui nous a fait connaître comme maison d'édition. Les gens ont compris que La Pastèque ne se limitait pas seulement aux Paul. L'ouvrage s'est vu remettre sept prix internationaux.»

Comment ne rien faire

Guy Delisle

«Un titre qui en sera bientôt à sa quatrième réimpression. Une oeuvre empreinte de finesse et d'humour.»

Red Ketchup

Godbout/Fournier

Tome 1 : La Vie en rouge

«Le personnage de bande dessinée québécois le plus connu et le plus déjanté ! Avec l'édition intégrale de ses aventures, Red Ketchup va enfin connaître le sort qu'il mérite.»

La Fugue

Pascal Blanchet

«La Fugue annonçait le début d'une oeuvre fortement originale, empreinte de musicalité et qui détonne sur la production actuelle.»

Morlac

Leif Tande

«Un livre qui repousse les cadres narratifs de la bande dessinée. Un ovni littéraire. Vendre les droits de traduction en Espagne d'un titre sans parole, il fallait le faire !»

La Bête

Dumas/Léveillé

«Un autre album hybride qui confirme notre désir de diversification. Le projet s'est transformé en cours de route et on s'est retrouvé, au final, avec un livre de naissance.»

Macanudo

Liniers

«On s'est senti comme chez Glénat, lorsqu'ils ont signé Mafalda dans les années 80. Un manuscrit de cette envergure n'arrive qu'une fois tous les dix ans.»

La chasse-galerie

Vincent Vanoli

«Une légende québécoise adoptée par un auteur français, qui témoigne de notre volonté de bâtir des ponts avec la France. Un livre fondamental à nos yeux.»

Harvey

Nadeau/Bouchard

«Un album (à paraître) au souffle singulier. Les auteurs cogitent sur le projet depuis quatre ans.»

Propos recueillis par Stéphanie Morin