Avec son troisième livre, publié chez Héliotrope sous forme de nouvelles, David Clerson joue avec la réalité. Que ses personnages la fuient, la réinterprètent ou essaient de lui donner un sens, ils empruntent toujours des chemins inattendus pour offrir un éclairage différent sur nos vies. Entrevue.

Une ville souterraine cachée dans les entrailles de Montréal, un homme qui se sent possédé d'un singe, une tumeur qui prend les traits d'une femme séduisante... En lisant les nouvelles du recueil Dormir sans tête, qui sort en librairie aujourd'hui, on navigue toujours à la lisière du rêve et de la réalité. Un processus entièrement assumé et parfaitement maîtrisé par David Clerson.

« Pour moi, c'est un livre qui parle de la possibilité ou de l'impossibilité d'échapper à sa vie, raconte l'auteur, rencontré dans un café du centre-ville montréalais. Les personnages se sentent prisonniers de leur existence et ils vont essayer d'en disparaître, mais en empruntant souvent des voies un peu inattendues, entre le rêve et la réalité, entre l'homme et l'animal, entre le réel et le fictif. »

Ces personnages vivent souvent seuls, en ville ou à la campagne, mais toujours en marge de la société. Ces milieux sclérosés, ils tenteront de les déserter, chacun à leur façon. « Ils vont essayer d'échapper à des vies dans lesquelles ils ne sont pas bien, qui les écrasent », poursuit celui qui a été primé deux fois pour son premier roman, Frères

« Comme auteur, j'explore avec des voies inusitées des issues possibles au monde dans lequel on est parfois enfermé. »

- David Clerson

Les personnages vont fuir vers ces lieux intermédiaires pour trouver une bouffée de liberté. Par exemple, dans la nouvelle sur la ville souterraine, le personnage, qui gagne sa vie en écrivant les sous-titres pour des séries télévisées et des documentaires animaliers, va s'y engouffrer et s'y perdre, de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. « On peut voir la ville intérieure comme une sorte de reflet négatif de la ville extérieure, illustre l'auteur. Parce que c'est un lieu non utilitaire ; il n'y a pas l'obligation du travail, la pression du monde. Il est seul, c'est un espace de liberté où il erre un peu à la dérive. »

Bien souvent, aussi, la détresse des personnages peut s'interpréter à plus grande échelle. « Il y a souvent ce parallèle entre le désastre du monde contemporain et un désastre intérieur », affirme Clerson, qui avoue être secoué par les mauvaises nouvelles relayées dans les médias. L'un des textes met d'ailleurs en relief une croisière de luxe qui se trouve tout près d'un bateau de réfugiés libyens qui coule, en pleine mer, dans l'indifférence presque totale. « Ces migrants sombrent réellement, mais d'autres personnages qui sont dans le luxe vont sombrer métaphoriquement, intérieurement, en quelque sorte. »

Un autre, possédé par un singe dont la race est en voie d'extinction, se sentira investi d'une mission plus grande, celle de perpétuer la survie de l'espèce en lui.

L'action des nouvelles est campée dans de nombreux lieux, dont plusieurs nous transportent en Mauricie : Maskinongé, Louiseville, ou encore Yamachiche, où des personnages mal dans leur peau tentent d'échapper à leur triste destin par la littérature. Ironie ou non, une partie de ce troisième opus a été écrite dans cette région, explique David Clerson, dont la mère est originaire de Trois-Rivières. « On a un chalet en Mauricie où je m'enferme parfois plusieurs semaines, sans l'internet, pour être vraiment coupé du monde. J'écris à ce moment-là de six à dix heures par jour sans parler à personne. Donc j'ai un rapport très fort à cette région-là. »

Une autre vision du monde

On rencontre aussi dans le livre un chien sans tête, qui aidera une jeune fille dans une banlieue mortifère à passer le seuil crucial de l'adolescence. « Le chien ne peut pas voir, il ne peut pas entendre ni sentir, mais il va percevoir le monde autrement avec un sixième sens qui lui permet de ressentir des émotions intimes », explique David Clerson.

On peut trouver que cette histoire n'a ni queue ni tête, mais elle est curieusement ancrée dans le réel. « Souvent, j'essaie de brouiller les frontières entre le rêve et la réalité », poursuit-il. Pas question toutefois de donner tous les éléments de réponse. 

« Il y a une part d'interprétation, comme les rêves peuvent l'être. C'est aussi au lecteur d'aller déchiffrer cette écriture-là. »

- David Clerson

Il serait toutefois faux de croire que tout est sombre dans ce livre. En effet, outre une bonne dose d'humour noir, on y trouve aussi des pistes de sortie, soutient l'auteur. On y apprivoise notamment la maladie, que ce soit dans le cas de la tumeur qui devient curieusement attirante, ou dans celui de l'homme qui, devenu aphasique à la suite d'un accident cérébral, transforme son langage, ce qui l'amène à voir le monde différemment.

« Je pense que c'est faux de croire que la littérature doit être source d'espoir, mais je pense qu'elle peut nous permettre de revoir nos vies selon un angle différent. Et ça, c'est riche », souligne l'auteur.

Dormir sans tête

David Clerson

Héliotrope, 132 pages

IMAGE FOURNIE PAR HÉLIOTROPE

Dormir sans tête, de David Clerson