Vingt-deux poètes partagent. Elles parlent d'où elles viennent et où elles vont en écriture dans Ce qui existe entre nous. Dialogues poétiques, sous la direction de Sara Dignard. Elle et ses consoeurs, Diane Régimbald, Chloé Savoie-Bernard, Ouanessa Younsi, ont accepté d'être «traversées par la voix de l'autre sans perdre la leur», comme écrit l'une d'elles, Louise Dupré.

Ce qui existe entre nous est un projet singulier faisant résonner des mots non cliquables comme «partage» et «générosité». Inspirée par une rencontre entre la Québécoise Madeleine Gagnon et la Française Marguerite Duras en 1980, Sara Dignard a formé 11 duos poétiques, de poètes jeunes et moins jeunes, qui se sont rencontrées pour créer. Pendant près de trois ans. Poèmes, récits, essais. Tous les genres coexistent. Les 22 poètes ont oeuvré avec un souci constant de vulnérabilité, de générosité, de complicité. Au-delà des âges et des ego. 

La rencontre

«Vu que j'ai conçu le projet, je ne me suis pas préparée. J'ai mis des balises pour tout le monde et quand je suis partie à Carleton, pour voir France Cayouette, je ne la connaissais pas. C'était vertigineux. On avait décidé d'un souper chez elle, mais on ne voulait pas se raconter nos vies», explique Sara Dignard.

«Ensemble, on a visité son école primaire et mon école secondaire. Les deux, on a eu envie d'écrire le silence. Je suis plus dans le récit que la poésie. Ce qui est difficile, c'est la pudeur et le respect de l'autre. Je me suis posé la question: à partir de quel moment ma parole vient-elle spolier son expérience? C'est pour ça qu'on a fait deux textes distincts», affirme Chloé Savoie-Bernard.

Le sujet

«Louise et moi sommes des amies, alors pour moi, c'était naturel de faire ce projet. C'est la première fois qu'on partageait notre écriture. On est deux personnes différentes, mais on s'est rencontrées dans le thème de l'enfance. L'écriture me semble indissociable de l'enfance, d'une chambre à soi. On a planifié un voyage où l'on a visité nos villes d'enfance», poursuit Ouanessa Younsi.

«Geneviève Gosselin et moi, tout de suite, on a parlé de notre territoire d'enfance. On a convenu qu'on était des filles du doute et que l'écriture ne se donne pas, on y entre. On a créé un poème ensemble. J'ai connu Geneviève quand elle avait 5 ans. On se rejoint dans notre côté solitaire et sauvage», se souvient Diane Régimbald.

Le duo

«Les poètes avaient peu ou pas travaillé ensemble avant. D'autres duos sont allés ailleurs. Certaines ne se connaissaient pas du tout et ne se sont même pas vues. Élise Turcotte et Laurence Veilleux, par exemple, ont travaillé le non-lieu. Elles se décrivent comme femmes d'errance», explique Sara Dignard.

«Écrire ensemble se fait dans le respect. C'est un texte qu'on ne peut pas écrire toute seule. En réalisant le projet, il s'est créé de nouveaux souvenirs. Ma grand-mère est morte le jour du début du projet. Louise [Dupré] va rester dans ma mémoire affective et vivante», pense Ouanessa Younsi.

L'écriture féminine

«Culturellement, les femmes sont relationnelles, peut-être plus portées à établir des ponts avec les autres, des femmes d'âges [différents] et de nationalités différentes. Je ne me suis pas posé la question des femmes quand Sara m'a offert le projet. Une écriture ne se fait jamais dans une tour d'ivoire. C'est dans un rapport avec les autres et le monde», assure Louise Dupré.

«À quoi servirait l'écriture s'il n'y avait pas un mouvement de transmission. La générosité, c'est la présence. Le corpus féminin prend une belle profondeur. Moi, je suis redevable à Nicole Brossard, Denise Desautels, France Théoret. On n'est tellement pas nées toutes seules», se questionne Diane Régimbald.

L'après 

«Ça s'est fait dans la spontanéité et l'émotion. La rencontre réveille quelque chose qui était déjà à l'intérieur. Ça bouscule, ça nous force à sortir de nous-mêmes. La fragilité nous a toutes reliées. La transmission ne se fait pas seulement dans un sens. J'ai beaucoup appris de Ouanessa [Younsi] avec ce projet. Ça m'enrichit. Ça m'ouvre tout un monde», assure Louise Dupré.

«On a besoin de projets comme celui-là qui peuvent s'institutionnaliser et devenir des moments dans l'histoire littéraire. La théorie un dimanche [en réédition chez Remue-ménage], je l'ai beaucoup relu et je trouve que, malheureusement, ce n'est pas dépassé. Les inégalités restent à peu près les mêmes aujourd'hui», termine Chloé Savoie-Bernard.

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Ce qui existe entre nous. Collectif sous la direction de Sara Dignard. Les éditions du passage. 174 pages.

Image fournie par les éditions du passage

Ce qui existe entre nous