L'écrivain et poète Maxime Catellier, aussi professeur de littérature au collège de Valleyfield, signe Le temps présent, qui paraît dans la collection Liberté Grande dirigée par Robert Lévesque. Un essai très sensible, poétique, plein de digressions fulgurantes, qui remet en question notre rapport personnel et collectif au temps, et qui propose comme compagnons de route les Arthur Buies, Nelligan, Rimbaud, Mallarmé, Karl Marx, Bob Dylan, Jacques Ferron, Nietzsche... D'une certaine façon, Maxime Catellier nous invite à user de l'effet tonifiant d'un présent désespérant.

Le temps présent, est-ce une réflexion sur comment occuper ce temps avec sens sans qu'il nous bouffe par le vide ou l'insignifiance ?

Effectivement, j'essaie de réfléchir sur le présent, mais surtout en essayant de réfléchir sur notre rapport au passé. Nous avons tendance à idéaliser ce qui s'est passé avant, dans notre vie personnelle avec nos souvenirs de jeunesse, mais aussi comme société. Mon point de départ a été de me demander pourquoi on n'idéalise pas notre présent. C'est assez évident que le présent nous désespère, parce que c'est la réalité crue qu'on vit. Il nous manque toujours quelque chose, que nous remplissons avec des morceaux de passé et une espérance du futur. Moi, la notion de temps me fascine beaucoup. Quand je parle à mes élèves des poètes de l'époque de Ronsard, par exemple, ce qui me fascine est que le mot espace signifie le temps. Il n'y a pas de différence entre l'espace et le temps dans cette poésie.

Il y a une nostalgie qui traverse ton essai. À partir de quel âge devient-on vieux ? Est-on pressé de vieillir, parfois ?

Non, je ne suis pas pressé... Je pense que la jeunesse, c'est quelque chose qu'on peut cultiver de toutes sortes de manières. La nostalgie apparaît en fait avec les ruptures. Il y a des périodes de rupture dans notre vie, quand on laisse derrière soi des personnes, des habitudes, des choses, qu'on jette derrière bien des affaires pour continuer à avancer. C'est à ce moment-là qu'apparaît la nostalgie. J'ai l'impression que Réjean Ducharme était nostalgique de son enfance à 24 ans ! On sent ça chez un tout jeune homme, c'est un sentiment qui n'a pas trop à voir avec la vieillesse.

Dans ton essai, tu déplores « notre docilité à l'égard d'un monde qui exploite nos plus précieux instants de lucidité ».

Effectivement, c'est assez fascinant de voir comment on accepte avec autant de docilité le système qui est en place, qui est un système d'exploitation assez formidable. Nous sommes les privilégiés de la gang à l'échelle de la planète, mais il est incroyablement violent quand même, ce système-là, et on l'accepte de manière bon enfant, les gens mènent une vie décérébrante... Ça m'étonne qu'il n'y ait pas plus de révolte que de dire « bon, c'est le temps de changer de gouvernement ». Pour moi, c'est comme une envie de changer de sorte de céréales. En même temps, je ne veux pas reprocher aux gens d'avoir abdiqué, parce que moi aussi, je suis pogné dans une job, mes paiements d'hypothèque et de voiture. Mais il faut quand même remarquer qu'on aurait beaucoup de raisons de se révolter et qu'on ne le fait pas. On doit le remarquer.

Dans ton essai, tu rends hommage à Arthur Buies. Qu'aimes-tu chez lui ?

Il traverse tout le XIXe siècle et concentre en lui toutes les contradictions de cette période. C'est un libéral avec des idées super libres, il signe les trois quarts des textes des journaux qu'il fait paraître, attaque le clergé, fait faillite, se fait engager par le curé Labelle pour explorer le pays... C'est un destin particulier. Quand on se demande quelle est la particularité de notre littérature au Québec, je trouve qu'on a le don de produire ces espèces de loners, des figures qui ne veulent rien savoir de personne, des Arthur Buies, Jules Fournier, Ferron, Ducharme, Marie-Claire Blais, tous des loners qui font ce qu'ils veulent, qu'on ne peut caser dans aucune catégorie. La littérature est le pays qu'on a habité le plus, en vagabonds. Je suis loin de trouver ça triste.

La question de l'avenir est poignante dans ton essai, lorsque tu écris que tu laisseras ton fils « dans une inévitable traversée qui le laissera seul à bord d'un navire que [tu] sais condamné d'avance ».

J'essaie de réfléchir à l'avenir à travers différents points de vue, et je n'arrive pas à être optimiste. C'est une incapacité, vraiment en raison d'une froide analyse, ultra-pragmatique. Je n'arrive pas à voir ce qui nous attend de merveilleux. Il y a quelque chose d'assez noir qui se dessine devant nous, mais je ne peux pas faire autrement qu'espérer en même temps que ça va être différent pour lui que ce que je vois maintenant. Il faut que je mette au moins ma confiance dans ce que leur imaginaire va pouvoir dessiner d'autre. Ça nous place dans une situation qui est celle du mythe de Pandore, quand tout ce qui reste au fond du pot est l'espérance. C'est ça qui nous reste et ça a toujours été comme ça. Je pense qu'il faut s'y accrocher, sinon on va tous tomber en dépression ! J'ai essayé que ce soient les lignes de force de mon essai, cette espérance qui demeure toujours, même dans l'analyse très dure que je fais des événements de 2012. Malgré les contrecoups pragmatiques, je pense que ceux qui ont vécu ça ont quand même allumé une flamme qui va leur permettre d'attendre autre chose de la vie qu'un job et des dettes.

Tu souhaites que nous puissions changer radicalement de vie pour que le présent ait du sens.

Oui. Je pense qu'on aurait besoin en ce moment de faire une rupture assez radicale avec notre mode de vie. Je pense que ce besoin se ressent partout, tout le monde le sait, mais personne n'ose vraiment le faire. On a besoin de passer plus de temps avec nos amis et moins avec notre boss, de remettre nos priorités ailleurs que ce sur quoi elles sont en ce moment. C'est essentiel, je n'ai aucune idée de comment ça va se produire, mais ça va se produire. C'est une phrase de Karl Marx qui a amorcé ma réflexion : « Vous ne me direz pas que j'estime trop le temps présent ; et si pourtant je n'en désespère pas, ce n'est qu'en raison de sa situation désespérée, qui me remplit d'espoir. »

Le temps présent

Maxime Catellier

Boréal

144 pages

Extrait 

« Nous recommençons chaque jour les mêmes gestes dans l'espoir que le temps avancera, qu'il ouvrira sur un espace inédit, un ailleurs où le passé deviendra une fable qu'on raconte, dans un présent libéré des contraintes, du labeur, des trahisons quotidiennes qui font s'évanouir les rêves. Nous restons en suspension, possédés par des visions grandioses, le temps de souffrir un peu la réalité qui nous ment en pleine face. Nous avons pourtant besoin de ces visions pour avancer, pour nous convaincre de la validité de la destination. »

Photo fournie par Boréal

Le temps présent