Dans Une vie sans fin, Frédéric Beigbeder mène une enquête journalistique sur les avancées scientifiques qui permettront bientôt de prolonger notre vie. En filigrane, l'auteur de 99 francs accepte finalement de vieillir et d'assumer son rôle de père. Nous avons profité de la sortie de son roman pour parler d'écriture, de paternité et de relations hommes-femmes à l'heure de #moiaussi et #balancetonporc.

Q: Comment vous est venue l'idée d'un roman sur la vie éternelle?

R: J'ai toujours eu peur de mourir, je parle de ça dans presque tous mes romans. Tous les écrivains parlent d'abattre la mort, c'est pour ça qu'on écrit, je crois. Ensuite, ma mère a eu un infarctus et mon père est tombé dans un hôtel. Les deux se sont retrouvés à l'hôpital au même moment. Et j'ai perdu des amis de mon âge. Bref, j'ai compris que ça se rapprochait pour moi aussi. Et, surtout, il y a eu cette question de ma fille: est-ce vrai que tout le monde va mourir? Je suis un lâche, je n'ai pas osé lui répondre la vérité, alors je lui ai dit qu'aujourd'hui, on ne mourrait plus. Et j'ai décidé de me lancer dans cette enquête complètement dingue.

Q: C'est un roman, mais c'est aussi une enquête journalistique. Comment l'avez-vous construit?

R: J'ai toujours écrit des livres qui étaient un mélange de fiction et de non-fiction. 99 francs était à la fois un roman sur un publicitaire qui pète les plombs et une enquête, voire un essai, sur le fonctionnement de ce métier. J'aime bien écrire des choses documentées et réalistes, mais, en même temps, ça ne m'interdit pas d'inventer des choses, des personnages. J'essaie de faire tomber la frontière entre la fiction et la non-fiction.

Q: Vous avez rencontré des sommités de la recherche scientifique en Europe et aux États-Unis. Étiez-vous surpris qu'ils aient le temps de discuter avec un romancier?

R: Je crois qu'ils ont envie d'expliquer ce qu'ils font, pas seulement aux collègues, mais à des gens d'autres horizons. Ce qui se passe en ce moment est tellement incroyable! Ils ont tous fait un gros effort de pédagogie pour expliquer des choses complexes avec des mots simples. Ils m'ont parlé comme si j'étais un enfant de 4 ans [rires]. Par ailleurs j'avais un peu potassé avant. J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver sur les progrès de la génétique, les cellules souches, etc.

Q: Vous parlez beaucoup de votre paternité dans ce livre...

R: Ce livre, au départ, est l'histoire d'un homme de 50 ans qui a peur de mourir et qui essaie de sauver sa peau et celle de ses enfants. Mais au fur et à mesure qu'il poursuit son enquête sur l'immortalité, il découvre qu'il est déjà immortel grâce à sa paternité.

En fait, pas besoin d'aller chercher trop loin: l'amour et la littérature sont les deux choses qui nous permettent de battre la mort. Mon roman est un livre sur un homme qui se transforme.

Q: Parlant de transformation... Le monde dans lequel vous publiez ce livre n'est pas tout à fait le même que celui dans lequel vous avez commencé sa rédaction. Que pensez-vous des mouvements comme #moiaussi et #balancetonporc?

R: Je suis le père de deux filles, dont l'une de 18 ans. Évidemment que je suis archi favorable à ce que toutes les agressions sexuelles soient dénoncées et punies. Je suis contre le harcèlement, contre les hommes qui importunent les femmes, ça me choque. Je n'ai pas du tout envie que ma fille soit importunée dans la rue, je veux qu'elle puisse s'habiller comme elle le souhaite, qu'elle soit payée le même salaire qu'un homme. Je dis des banalités, mais il ne faut pas les oublier, car il n'y a pas que les femmes qui doivent être féministes, les hommes aussi. Un homme comme moi est tout naturellement pour l'égalité entre hommes et femmes, je veux être clair là-dessus.

Après, je crois qu'il y a des excès: #balancetonporc est une formulation épouvantable, je n'aime pas qu'on balance et je n'aime pas qu'un homme soit comparé à un porc. Il y a une infime minorité d'hommes qui sont des gros cons, et même des criminels, et je suis pour qu'on les punisse, mais ensuite, il faut qu'on arrive à trouver un nouveau code amoureux pour faire en sorte que les hommes et les femmes puissent continuer à s'aimer. C'est ça l'enjeu, non? Comment on va faire pour s'aimer?

Q: Vous avez quelques idées?

R: Peut-être que les femmes devraient aborder les hommes un peu plus souvent. Pour les hommes, c'est quand même difficile, il faut avoir du courage pour oser exprimer son désir, c'est compliqué, il faut le faire avec délicatesse et tact, il faut accepter de nombreux refus, et dans ma vie, dieu sait comme j'en ai eu, des refus [rires]. Quand quelqu'un vous dit non, ça fait mal, c'est une déception, il faut encaisser. Après 10 000 ans de domination masculine, il est temps que ce soit les femmes qui fassent les premiers pas. Moi, je ne bouge plus, je reste assis dans mon fauteuil et j'attends qu'on vienne me parler [rires]. De toute façon, je suis un homme marié et je suis fidèle, alors le problème ne se pose pas.

Q: Qu'avez-vous pensé de la fameuse lettre sur le droit d'importuner signée par Deneuve, Millet, etc.

R: J'ai trouvé que c'était une belle démarche courageuse de dire que la drague n'est pas un délit, une phrase que j'ai trouvé importante d'entendre en tant qu'homme. En revanche, je ne souhaite pas que ma fille soit importunée et je crois que c'était maladroit d'employer ce terme. C'était également maladroit de dire qu'on se remet facilement d'une main aux fesses ou de quelqu'un qui se frotte contre nous. C'est grave, c'est une forme d'irrespect et de violence et c'est répréhensible. Cette lettre qui était destinée à apaiser les choses n'a rien apaisé du tout. Donc, je pense qu'elle n'était pas très bien rédigée.

Je pense souvent à cette phrase de Marguerite Duras dans Hiroshima mon amour: «Tu me plais, quel événement!» Quand une personne regarde une autre personne, c'est un événement précieux qu'il faut protéger. Ce qui m'emmerde dans toute cette histoire, c'est qu'on abîme le désir à cause de certains hommes.

Une vie sans fin

Frédéric Beigbeder

Grasset

360 pages

Photo fournie par Grasset

Une vie sans fin