Entrevue avec des auteurs-compositeurs de l'ombre que vous entendez pourtant tous les jours à la radio.

Gaële: trouver le mot juste

Gaële a commencé à partager sa plume avec d'autres par hasard.

Des années après s'être retrouvée dans le même autocar Montréal-Gaspésie que Marie-Pierre Arthur, cette dernière lui a demandé de l'aide pour son premier album.

Depuis, Gaële a coécrit toutes les chansons de Marie-Pierre Arthur. «Nous avons développé une dynamique de coécriture. Nous pouvons parler des heures et décortiquer la psychologie humaine pour trouver les bons mots.»

Gaële a aussi travaillé avec Caracol, Sophie Pelletier et Florence K. «Avec Florence K, c'était très particulier, elle m'a demandé d'écrire des chansons à partir de son livre qui relate sa descente aux enfers. J'ai d'abord décortiqué les thèmes par chapitre pour ensuite les associer à des émotions. 

«C'est l'une des collaborations les plus audacieuses et différentes que j'ai faites, dit Gaële. J'ai aussi adapté en français des chansons en anglais de Pascale Picard pour un spectacle aux FrancoFolies.»

En parallèle, la brunette d'origine française mène aussi une carrière solo et elle a donné des cours d'interprétation à l'École de la chanson de Granby. 

«Être auteur-compositeur-interprète, c'est trois métiers et c'est pas toujours facile de les garder au même niveau.»

Écrire pour d'autres, c'est avant tout des rencontres formidables pour Gaële. «Cela ramène la création au premier plan et cela nous ramène à ce pour quoi on fait ce métier, ajoute-t-elle. Je veux transmettre mon amour des mots.»

Or, pour beaucoup d'auteurs-compositeurs-interprètes au Québec, l'écriture des textes est une étape pénible, qui vient souvent après la musique.

«À ceux-là, je leur dis: pourquoi alors tu mets des mots? lance Gaële. Pour moi, de la chanson, c'est le mélange de paroles et de musique.»

L'art de raconter

Si l'inspiration peut être spontanée, une chanson se travaille, insiste Gaële. «Écrire, c'est raconter une histoire, mais c'est plus rêveur et impalpable dans une chanson. Il faut trouver le mot juste, et ne pas s'écarter de son idée première juste au profit de la rime.»

Gaële cite en exemple une chanson qui fait mouche comme Une chance qu'on s'a de Jean-Pierre Ferland. «Si tu as le punch et qu'en plus, tu dis ce que tu veux dire, c'est dans le mille.»

Les règles d'écriture ont néanmoins changé avec la technologie. Gaële fait partie des 15 auteurs, compositeurs, interprètes et producteurs qui ont participé au premier «camp d'écriture» de la SOCAN.

«Nous avons fait 20 chansons en 5 jours. C'était une expérience de création très enrichissante», raconte Gaële.

«Je m'en souviendrai toujours... J'étais avec Laurence Nerbonne et le producteur Ruffsound. On ne se connaissait pas. Il fallait écrire une chanson. Quand on a commencé, ils ont mis leurs écouteurs devant leur ordinateur alors que moi, je me suis assise avec mon cahier vintage et un crayon. Je leur ai dit : allo, je m'appelle Gaële; elle va parler de quoi, la chanson ? Eux, ils n'avaient jamais fait de chanson sans partir d'un beat.»

Que ce soit à l'ordinateur ou au crayon, Gaële persiste et signe: tout auteur-compositeur a intérêt à se faire «relire» pour faire sortir le meilleur de sa chanson.

Steve Marin: le troisième frère

«À un moment donné, tu comprends qu'il y a des choses qui marchent mieux que d'autres», lance sagement Steve Marin, qu'on surnomme le «troisième frère» de Sonny et Erik Caouette.

Steve Marin est le grand collaborateur de 2Frères. Il a aussi écrit pour Isabelle Boulay, Roch Voisine, Mario Pelchat, Marc Dupré, Renée Martel, Paul Daraîche et Laurence Jalbert, sans compter des collaborations à venir avec Ginette Reno et Petula Clark.

L'automne dernier, il a remporté un prix de la SOCAN pour la chanson Qu'est-ce que tu dirais? de 2Frères.

«Il faut écrire les chansons pour les bonnes personnes», dit Steve Marin.

À l'ère d'émissions comme La voix, où on enrobe d'émotions des artistes, Steve Marin rappelle l'importance de «construire un artiste graduellement avec le temps».

Steve Marin a sorti deux albums solos. Avec le recul, il était trop «dans le milieu» du spectre artistique qui va de l'underground au populaire. «Pas assez à gauche, et pas assez à droite.»

Un deuil?

«Plutôt un cheminement.»

Très demandé

Depuis qu'Isabelle Boulay a sollicité ses services pour la chanson-titre de son album Chansons pour les mois d'hiver, Steve Marin est très demandé à titre d'auteur-compositeur.

Steve Marin a réalisé les deux albums de 2Frères. Si tout ce que fait 2Frères rime avec succès commercial, tout est naturel et tout se tient, fait-il valoir. «Ce sont les gars les plus gentils et aimables que je connaisse.»

«Ils ont des chansons clés aux propos clairs et quelque chose de familial à raconter [...] Ils sont bons en entrevue. Ils ont de la suite dans les idées. Ils sont honnêtes et transparents.»

Il y avait aussi une place pour 2Frères dans le créneau jadis occupé par La Chicane, Kaïn et Kevin Parent.

«Quand 2Frères chante "Y'a rien d'plus important qu'l'amour qui nous rassemble", ça marche. Quelqu'un d'autre ne pourrait pas se l'approprier», souligne Steve Marin.

En collaborant avec 2Frères, Steve Marin a beaucoup appris. «La direction artistique, c'est super important et c'est souvent négligé. Si on parle de tel artiste, ce n'est pas juste pour une chanson», dit-il en citant la direction artistique d'un Philippe Brach.

«Moi, je n'avais aucune suite logique dans mes extraits, note Steve Marin. À l'époque, les gens me disaient que mes textes étaient dark et je ne le voyais pas. J'ai réécouté mes albums récemment sur la route et je me suis dit: c'est donc bien dark!»

«Quand tu es auteur-compositeur-interprète, tu protèges ton univers et c'est difficile d'écouter les autres. Tu as le nez dedans et tu as peur d'être dénaturé, souligne Steve Marin. Tu ne veux pas risquer qu'on t'enlève quelque chose que tu voudrais garder. Mais être au centre de tout, c'est difficile. Il faut un plan, une équipe... mais surtout une direction artistique.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Depuis qu'Isabelle Boulay a sollicité ses services pour la chanson-titre de son album Chansons pour les mois d'hiver, Steve Marin est très demandé à titre d'auteur-compositeur.

Amélie Larocque: au service de l'autre

Amélie Larocque a écrit les paroles et la musique du tube Mon départ de Marc Dupré. Elle a donc en quelque sorte remporté en 2016 le Félix de la chanson de l'année au Gala de l'ADISQ.

«J'étais dans la salle. C'était irréel [...] Surtout que j'étais montée sur la scène avec 2Frères pour l'album pop de l'année.

«Le spectacle de Marc au Centre Bell restera à jamais gravé dans ma mémoire, ajoute-t-elle. C'est quelque chose quand des milliers de personnes chantent tes mots... que tu es là et que personne ne sait que cela vient de toi. J'adore ce sentiment-là.»

Amélie Larocque chante depuis qu'elle est petite. Elle a étudié en musique au cégep de Drummondville. Après ses études en musique, elle se croyait incapable d'écrire une chanson. À défaut d'avoir un auteur à sa disposition, l'interprète s'est mise à mettre des mots sur sa musique, puis c'est à titre d'auteure-compositrice-interprète qu'elle a dévoilé un premier album solo en 2010.

Après la mort de sa grand-mère et enceinte de sa fille, Amélie Larocque a composé spontanément Je vous vois encore mieux. «J'adorais la chanson, mais elle ne m'allait pas.» Par hasard, Annie Blanchard a sollicité sa plume peu de temps après, et c'est finalement elle qui l'interprète.

C'est à ce moment-là qu'Amélie Larocque a commencé à écrire pour les Jérôme Couture, Marc Dupré et 2Frères.

Du sur-mesure

Il arrive que l'artiste a une idée bien précise de ce qu'il veut entendre. C'était le cas de Marc Dupré pour Ton départ.

Pour 2Frères, par exemple, Amélie Larocque a imaginé la vie de Léo Gagné, un gars qui préfère le bois aux bancs d'école.

«2Frères, c'est à des milles de ce que je fais. Personne ne peut savoir que ça vient de moi. Par rapport à d'autres auteurs-compositeurs qui veulent laisser leur marque, j'aime que les gens ne me reconnaissent pas.

«Je suis à l'écoute du besoin de l'artiste, précise-t-elle. Des chansons en banque, je n'en ai pas. Je leur demande de quoi ils veulent parler et leurs influences... Je n'ai pas l'ego de vouloir passer mes idées absolument. Le mot qui agace, je suis prête à le changer. Je suis au service de... J'ai un détachement.»

La radio? Oui, elle y pense.

«J'écris souvent en fonction de si c'est un extrait radio ou non.»

Or, il arrive qu'une de ses ballades - comme Limpide de Geneviève Leclerc - soit sélectionnée comme extrait alors que ce n'était pas son intention.

«Pour Jérôme Couture, 2Frères et Marc Dupré, c'est certain qu'il faut penser à la radio. Ce n'est pas un tabou pour moi... J'adore écrire des hits qui jouent à la radio.»

Pourrait-elle gagner sa vie en écrivant des chansons pour d'autres? «Oui, si je faisais cela à temps plein, mais j'ai besoin de faire mes propres chansons. Et dans le métier, pour réussir financièrement, il faut être une pieuvre.»

C'est sous le nom d'AMÉ qu'elle sortira sous peu un nouvel album à la pop assumée sous son propre label Oblik Records. Le deuxième extrait, Déjà vu, a été lancé avant-hier. AMÉ a déjà une entente avec l'étiquette de disques française Space Party, qui représente la star montante Boostee.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Amélie Larocque pourrait-elle gagner sa vie en écrivant des chansons pour d'autres? «Oui, si je faisais cela à temps plein, mais j'ai besoin de faire mes propres chansons. Et dans le métier, pour réussir financièrement, il faut être une pieuvre.»