Couleurs de l'incendie raconte la chute et la revanche de Madeleine Péricourt, fille du banquier Marcel Péricourt, dans le Paris du tournant des années 30. Du krach de 1929 à la montée du nazisme, d'une chanteuse d'opéra obèse à un enfant handicapé, ce roman trépidant rempli de surprises est mené d'une main assurée par Pierre Lemaitre. Il a accepté d'analyser son livre avec nous.

Roman historique ou roman d'aventures?

«Je ne sais pas bien ce qu'est un roman historique. La définition est vaseuse. À quel moment vous estimez que c'est assez loin dans le temps pour dire que c'est historique? Alors je préfère dire roman d'aventures.» La période couverte par la trilogie de Pierre Lemaitre est l'entre-deux-guerres, mais ce n'est pas par intérêt particulier. «Ça fait quatre ans qu'on me bassine avec la Première Guerre mondiale, comme si c'était ma passion personnelle. Pas que je m'en foute complètement, mais bon, j'ai écrit un roman qui se passe à la fin de la guerre de 14, ça m'a beaucoup intéressé, mais voilà, pas plus que ça!»

Les années 30

Le plus grand défi aura été d'installer l'histoire de Couleurs de l'incendie au tournant des années 30. Le problème, dit l'auteur, est que les lecteurs connaissent la fin de l'histoire... «Ils savent bien que dix ans plus tard, c'est le début de la Seconde Guerre mondiale. Alors que les personnages qui vivent leur aventure, eux, ne le savent pas. Ils ne savent pas que Hitler va devenir Hitler. C'est pour ça que j'ai eu besoin d'une historienne, qui m'a expliqué de quelle manière les gens pensaient pendant les années 30, car ils n'avaient pas le recul que nous avons.»

Le comte de Monte-Cristo

D'abord auteur de polars, Pierre Lemaitre s'est toujours revendiqué de la littérature populaire. L'ombre d'Alexandre Dumas planait d'ailleurs sur Au revoir là-haut, et encore plus sur Couleurs de l'incendie. «Mais ce n'est pas qu'un hommage à Monte-Cristo. J'utilise la structure de ce livre pour faire, plus généralement, un hommage à toute la littérature romanesque du XIXe siècle. Il y a un peu de Stendhal, de Balzac, de Zola.»

Les personnages féminins

Le personnage central du roman est Madeleine, fille de Marcel Péricourt, qui tenait quand même un rôle plus effacé dans Au revoir là-haut. Avoir une femme protagoniste, admet Pierre Lemaitre, lui a permis d'explorer de nouvelles avenues, notamment sur la place des femmes qui, pendant les années 30, étaient considérées comme des êtres «relatifs». «Et puis une femme en entraînait une autre, et je me suis retrouvé avec quatre femmes personnages principaux. J'ai trouvé ça passionnant à écrire.»

Le casting

Pierre Lemaitre l'avoue, il travaille toujours avec un plan. «Certains auteurs disent: "On verra comment ça avance." Moi, je ne sais pas faire ça. Si je ne prévois pas, à un moment, je vais dans le mur.» Son plan, en revanche, n'est pas trop détaillé, question de «laisser à l'écriture la chance de fabriquer des choses.» Par exemple, l'auteur fait littéralement des castings de personnages. «Mon petit Paul avait besoin d'une infirmière, alors j'ai fait défiler des candidates. Puis, j'ai vu arriver cette Polonaise qui ne parlait pas un mot de français. J'ai dit: "Ah! c'est pas mal, c'est un joli personnage prometteur de relance et de drôlerie." Alors, je l'ai embauchée.»

Les références actuelles

En lisant Couleurs de l'incendie, on sourit souvent à l'évocation de sujets très contemporains, comme l'évasion fiscale ou le pétrole irakien. Pierre Lemaitre rigole: l'idée de départ, dit-il, n'était pas de traquer les résonances avec aujourd'hui. Mais une fois débusquées, pas de raison de s'en priver. «Par exemple, cette époque, c'est le début de la technocratie moderne, représentée par le personnage de Gustave Joubert. Six mois après l'élection du technocrate Macron, forcément, ça m'a amusé. C'est dans ces années-là aussi qu'on a inventé les comptes numérotés, alors quand j'ai vu arriver les Paradise Papers, je me suis dit: "Quelle merveilleuse pub on fait à mon livre!"»

La suite

Le sort de la majorité des personnages de Couleurs de l'incendie est scellé à la fin du livre, alors que Pierre Lemaitre décrit sommairement ce qu'ils sont devenus dans les années suivantes. Tellement qu'on se dit que l'auteur s'est coupé bien des avenues pour la troisième partie de la trilogie, à paraître dans 18 mois. «Pour qu'un feuilleton soit bon, il faut qu'il soit un peu surprenant. Si je laisse toutes les pistes ouvertes, on tombe dans le maniérisme, le système... Je ferme des portes pour ne pas être tenté de les réutiliser, sinon ça me renverrait une image de moi que je n'accepte pas trop.» Bref, Pierre Lemaitre n'aime pas la facilité. «En tout cas, pas celle-là. Mais il y a des facilités que j'adore! J'aime bien de temps en temps quand c'est facile.»

Image fournie par Albin Michel

Couleurs de l'incendie