Faut-il rééditer les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline? Le Premier ministre français Édouard Philippe n'y est pas hostile à condition de «soigneusement accompagner» leur publication, Serge Klarsfeld y est catégoriquement opposé et, au coeur de cette polémique, l'éditeur Antoine Gallimard se défend.

«Le livre pour l'instant n'existe pas, alors pourquoi cette polémique? Elle ne devrait exister que quand j'annonce: "Voilà, il sortira et voilà l'édition"», a affirmé Antoine Gallimard, interrogé mardi par un journaliste de l'AFP en marge de la Foire internationale du livre de New Delhi.

L'éditeur a dénoncé «un procès d'intention». «On n'a pas à pousser les éditeurs à s'autocensurer», a-t-il insisté.

Depuis que le magazine L'Incorrect a affirmé début décembre que les pamphlets de Céline (Bagatelles pour un massacre, L'école des cadavres et Les beaux draps) allaient être réédités par Gallimard «courant 2018», les partisans de cette réédition et ceux qui s'y opposent ne cessent de s'affronter.

Aucune date n'a cependant été fixée pour une éventuelle réédition des pamphlets violemment antisémites de Céline, un ensemble de textes publiés entre 1937 et 1941.

Dans un communiqué transmis à l'AFP le 20 décembre, l'éditeur parisien expliquait vouloir s'inspirer de l'«édition critique» des pamphlets céliniens publiée au Québec en 2012 par la maison d'édition canadienne Éditions 8.

«Haine antisémite»

«L'intention est d'encadrer et de replacer dans leur contexte des écrits d'une grande violence, marqués notamment par la haine antisémite de l'auteur», soulignait Gallimard. L'éditeur précisait que l'appareil critique et l'avertissement seront établis par Régis Tettamanzi, un spécialiste de l'oeuvre célinienne, professeur à l'université de Nantes, l'écrivain Pierre Assouline signant la préface.

Les écrits de Céline tomberont dans le domaine public en 2031 (soit 70 ans après la mort de l'écrivain en 1961) et seront alors libres de droits.

Pour des associations comme SOS Racisme, Gallimard songe à un coup éditorial. «Comment cette maison d'édition peut-elle tomber dans une utilisation mercantile de textes appelant explicitement à l'extermination des Juifs?», a dénoncé SOS Racisme mardi dans un communiqué.

Les pamphlets de Céline ne sont pas interdits en France, mais n'ont pas été réédités depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'écrivain lui-même puis sa veuve, Lucette Destouches, âgée de 105 ans, s'y opposaient. Ils peuvent cependant aisément être consultés sur internet ou achetés chez des bouquinistes.

«Il n'y a aucune raison de ne pas publier ces livres, il y a bien pire. Les livres bien pires ce sont les livres insidieux, dans lesquels il y a un antisémitisme rampant, qui ne dit pas son nom», a soutenu Antoine Gallimard à New Delhi.

«Je trouve que le débat est un peu hystérique, un peu fou», a-t-il estimé. «Ce débat peut-être qu'il faut l'avoir, mais en tout cas je proposerai qu'on l'ait le jour où l'édition que je ferai - si je fais cette édition - sera prête».

L'exemple Rebatet

Les textes antisémites de Céline «tombent sous le coup de la loi», a prévenu Serge Klarsfeld, président de l'association Fils et filles de déportés juifs de France.

L'historien Laurent Joly, spécialiste de l'antisémitisme en France avant et pendant l'Occupation, a rappelé que Bagatelles pour un massacre fut «le bréviaire des antisémites».

En octobre 2015, les éditions Robert Laffont avait publié dans une édition critique le texte antisémite de Lucien Rebatet Les décombres sans provoquer de remous.

Ce livre avait rencontré un incroyable succès. Les premiers 5000 exemplaires s'étaient écoulés dès le jour de la sortie de l'ouvrage. Les ventes dépassent aujourd'hui les 10 000 exemplaires.

Fayard devrait également publier une nouvelle version française du Mein Kampf d'Adolf Hitler, mais «il n'y a pas de date de publication arrêtée», a prévenu l'éditeur interrogé par l'AFP.

En Allemagne, où ce manifeste a été réédité (dans une édition critique) en janvier 2016, il est devenu un succès de librairie avec quelque 100 000 exemplaires écoulés.

«Il ne faut jamais sous-estimer l'attrait de ce genre de textes», a mis en garde l'historien Tal Bruttmann, interrogé par le quotidien La Croix ce mardi. Pour lui, «c'est un cadeau que les militants d'extrême droite seront ravis de se faire...».