Toute sa vie, il aura aimé le bonheur et les plaisirs: Jean d'Ormesson, le doyen des immortels de l'Académie et archétype de l'écrivain à la française, est mort à l'âge de 92 ans. Sa disparition a suscité une myriade d'hommages.

Alexandre Jardin: l'antidote à la vulgarité ambiante

Le romancier Alexandre Jardin, de passage à Montréal cette semaine pour faire la promotion de son nouveau livre Ma mère avait raison, a bien connu Jean d'Ormesson. Il nous en a parlé lorsque nous l'avons rencontré hier matin, peu de temps après l'annonce de la mort du célèbre académicien.

«À travers Jean, c'est une manière d'être français qui disparaît. Cette espèce de désinvolture et de légèreté permanentes, quel que soit le sujet. C'est une forme de politesse suprême, même totalement à la pointe de l'élégance, et qui est complètement l'antidote à la vulgarité ambiante.»

Que retiendra-t-on de Jean d'Ormesson? «Que son premier chef-d'oeuvre, c'est lui.» Et Alexandre Jardin nous lit, amusé, l'extrait d'un texte écrit par son éditeur chez Grasset, Jean-Paul Enthoven, dans l'anthologie Saisons de papier.

«Passe encore de devoir quitter le Grand théâtre de la vie quand on y a été malheureux ou souffrant. Mais qui dira la double peine de celui qui, comme lui, doit inévitablement prendre congé alors que tout, jusque-là, a été une suite ininterrompue de bons moments? 

«Une consolation, tout de même: être, avoir été, Jean d'Ormesson - c'est-à-dire l'homme que tout le monde, des nantis aux rappeurs, aime aimer.»

Dany Laferrière: Un «coup de foudre d'amitié»

Trente-cinq ans après avoir fait campagne pour l'entrée de la première femme à l'Académie française, Marguerite Yourcenar, Jean d'Ormesson est aussi celui qui a milité en faveur de l'entrée de Dany Laferrière.

Deux jours avant son intronisation à l'Académie française en 2015, Dany Laferrière avait reçu la traditionnelle épée d'académicien des mains de Jean d'Ormesson, qui avait déclaré: «Un Québécois d'Haïti, c'est une espèce de rêve.»

Le doyen des immortels avait d'ailleurs milité en faveur de sa candidature au sein de l'institution, comme l'a rappelé lui-même Dany Laferrière hier au journal La Croix, dans la foulée de tous les témoignages qu'on pouvait entendre après la mort de cette figure publique très appréciée des Français.

«Après le tremblement de terre qui a ravagé Port-au-Prince, de retour à Montréal, j'avais trouvé une lettre de lui, raconte Laferrière à La Croix. Elle débutait ainsi: "J'espère que tu vas bien là où tu es en ce moment..." Datée du 12 janvier 2010, du jour même du séisme, donc écrite avant la catastrophe. Comme s'il l'avait devinée, pressentie, précédée. Il avait eu, pour moi, écrivain haïtien et québécois, venu des Caraïbes et de ce pays meurtri, "un coup de foudre d'amitié", disait-il.»

Pour Dany Laferrière, qui souligne dans cette entrevue que Jean d'Ormesson, même malade, avait tenu à se déplacer pour voter en sa faveur, l'homme était «un athlète de la culture, un marathonien».

«En toutes circonstances, le comte d'Ormesson était l'être le plus chaleureux de la littérature contemporaine. C'était un vieux sage qui avait bien vieilli. Dans nos débats à l'Académie, les immortels le sollicitaient en sa qualité de doyen. Il donnait raison aux uns et aux autres, avant de se prononcer.»

photo MATTHIEU ALEXANDRE, archives agence france-presse

La maire de Paris, Anne Hidalgo, Dany Laferrière et Jean d'Ormesson lors d'une cérémonie soulignant l'intronisation du second à l'Académie française.