Il et elles sont passés de poètes à romanciers, même si la poésie leur colle toujours à la peau. Nicholas Dawson, Stéphanie Filion et Erika Soucy sont joueurs, en fait. Ils aiment les défis, jouer avec les mots, explorer. Leur goût de l'aventure les a menés au roman.

Ce n'était pas leur but dans la vie. Ce n'est pas non plus pour la notoriété ou l'idée que le roman est le genre dominant en littérature. Non. Nicholas Dawson, Stéphanie Filion et Erika Soucy avaient envie de développer certains thèmes plus en profondeur, mais toujours en favorisant la forme courte.

«J'ai fait une suite poétique sur Beyrouth dans mon premier recueil. J'avais envie d'aller plus en profondeur sur la ville d'une autre façon, d'où le roman. Ça m'a pris sept ans pour écrire ce roman de 150 pages [Grand fauchage intérieur]. Je pensais faire un roman au long souffle, mais ce n'est pas moi, je n'ai pas de long souffle. Je m'accepte comme ça», décrit Stéphanie Filion.

«La poésie offre énormément de liberté, mais a de grosses limites aussi. J'avais un désir de faire un travail documentaire autour des grands chantiers. Le roman [Les murailles] s'est imposé, estime Erika Soucy. Ce modus operandi de commencer en poésie à défricher un sujet et, après, de passer au roman m'a permis de mettre des choses en place, de répondre à tous mes désirs d'écriture.»

«Dans notre formation de lecteurs, on est conditionnés à penser que les romans doivent être longs parce qu'on est drillés à la littérature française. Dans une forme brève, on a tout de suite un sentiment d'infériorité. On se tourne alors vers la poésie parce que c'est le seul lieu où on célèbre la forme brève. Ce roman [Animitas], je l'ai écrit à partir de nouvelles que j'ai publiées. Elles faisaient partie d'un projet plus large. Avant, c'était un projet de poésie en prose. Je ne sais pas trop pourquoi c'est devenu un roman», avoue Nicholas Dawson.

Autofiction

Spécialiste de l'intime, de l'intériorité, le poète se tourne-t-il nécessairement vers l'autofiction qui émane justement de soi?

«Je n'ai pas pensé à l'autofiction, alors que le point de départ du roman, ce sont des trucs archipersonnels de ma vie privée. Je voulais donner une forme à des choses dans ma vie. L'écriture a débloqué quand je me suis permis de "tuer" ma mère, d'en faire quelque chose de complètement fictif», souligne Nicholas Dawson.

«J'avais besoin d'écrire ce livre-là, de parler du quotidien des chantiers, ce qui avait toujours été présent dans ma vie. Cela a été écrit de façon très naïve avec des répercussions chez mes proches. Le roman a eu un certain impact. Tout le monde voulait savoir ce qui était vrai ou pas et ça me dérangeait d'y répondre. Je m'en suis libérée à partir du moment où je me suis rendu compte que ça me plaisait bien d'utiliser ce genre littéraire qui possède une valeur et de bons auteurs», confie Erika Soucy.

«L'autofiction, c'est raconter en écrivant "roman" sur la couverture, affirme Stéphanie Filion. Se nourrir de nous, de nos observations et de nos expériences a toujours été à la base de l'écriture. Des gens m'ont demandé, à propos de mon roman, si les mues se produisaient vraiment chez certaines personnes. Je l'ai inventé. En écrivant au "je", les gens sont prêts à croire n'importe quoi. La différence entre la poésie et le roman, c'est beaucoup dans le jeu avec le lecteur.»

Poésie-roman et après?

Tous les trois vont continuer en poésie. Erika Soucy y revient déjà cet automne avec Priscilla en hologramme, mais un deuxième roman est en préparation. «Le recueil parle de ma mère, dit-elle. Je suis à plein dans la démarche autofictionnelle. J'avais envie d'une esthétique plus féminine et féministe. Ça va devenir un roman, je l'ai déjà commencé. Mais à mon deuxième recueil, je me disais que je n'écrirais jamais de roman. Je croyais que ce n'était pas pour moi. Ça m'a pris quatre ans à écrire Les murailles et le roman fait 150 pages. J'y ai goûté et j'ai envie de continuer.»

«La poésie, croit Nicholas Dawson, est plus proche de l'essai que du roman dans le sens où la poésie exige un regard extrêmement observateur et analytique sur des objets qui peuvent être banals. L'essai fait ça. En écrivant mon roman, j'avais parfois l'impression d'écrire un essai sur la maladie mentale. En même temps, j'avais l'impression d'écrire de la poésie. J'aime varier les genres.»

«Je ne voulais pas écrire de roman, note Stéphanie Filion, mais mon éditrice de l'époque le voulait. Je l'ai pris comme un défi personnel. J'ai trouvé ça difficile d'écrire un roman, mais je suis satisfaite de l'expérience. On ne se mentira pas, on va rejoindre plus de lecteurs. Mais j'ai envie de leur dire : "Pourquoi vous ne lisez pas de poésie?" Il y a des choses importantes qui se disent en poésie qui vont vous toucher personnellement. Le statut de poète me fait pleurer. On sort du Québec et les poètes québécois sont reconnus comme excellents.»

Poésie cherche lecteurs

«Quand j'ai vu la réception des Murailles, je me suis fait la promesse de faire un recueil et de le pousser dans la gorge des lecteurs, ajoute Erika Soucy. Vous aimez ce que je fais, ben je suis d'abord une poète! Dans le milieu de la poésie, je me faisais taquiner sur le fait que je disparaîtrais dans le roman. Mais non, je suis revenue!»

«Des gens qui ne veulent pas essayer la poésie, pense Nicholas Dawson, rejettent plein d'auteurs. Je me demande comment ils lisent les romans. La poésie demande un travail différent. On ne lit pas un roman de la même façon. Donc, les gens qui ne lisent que des romans ne s'intéressent qu'au récit, pas à l'écriture. C'est dommage. D'où cela vient-il? Comment se fait-il qu'on ne lise pas de poésie au secondaire?»

«Il y a un travail important à faire en éducation. Les enseignants pensent que c'est plate, alors ils leur font lire du rap. Ce n'est pas de la poésie, c'est de la musique. Il y a tellement de poésie contemporaine qui peut plaire aux jeunes lecteurs pour en faire, justement, de meilleurs lecteurs», conclut Erika Soucy.

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Grand fauchage intérieur. Stéphanie Filion. Boréal.

Animitas. Nicholas Dawson. La Mèche.

Les murailles. Erika Soucy. VLB.