C'est un livre rarissime qui s'arrache sur le marché de la bibliophilie. L'un des cinq exemplaires de Du côté de chez Swann imprimés sur japon impérial de Marcel Proust sera mis aux enchères à Paris le 30 octobre, a-t-on appris mardi auprès de Sotheby's.

«Cet exemplaire fait rêver», souligne Jean-Yves Tadié, le spécialiste français de Marcel Proust qui a dirigé l'édition d'À la recherche du temps perdu dans la Pléiade.

L'ouvrage, imprimé sur le plus beau des papiers (le japon impérial ou papier washi est fabriqué à partir des fibres naturelles du mûrier kozo), est l'un des quatre en circulation puisque le propriétaire d'un des exemplaires en fut spolié par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale et que l'exemplaire reste disparu à ce jour.

Sotheby's estime l'ouvrage entre 400 000 et 600 000 euros.

Cet exemplaire avait été offert par Proust à Louis Brun, alors directeur des éditions Grasset en charge de l'édition.

Pourquoi Louis Brun? Il faut se rappeler l'histoire laborieuse de la publication de Du côté de chez Swann.

Pour Marcel Proust, la recherche d'un éditeur fut un parcours du combattant. Il essuya de nombreux refus avant que Bernard Grasset n'accepte de le publier, en deux volumes et aux frais de l'auteur. Le volume fut achevé d'imprimer le 8 novembre 1913 et mis en vente le 14 novembre.

Face au succès, Gaston Gallimard, André Gide et toute l'équipe de la NRF se lancent dans une irrésistible campagne de séduction pour convaincre Proust de rejoindre les rangs de la NRF. Ces démarches aboutissent au printemps 1916 et dès la fin de la guerre Proust paraît sous l'enseigne de la NRF. Proust obtiendra le Goncourt en 1919 avec l'étiquette Gallimard.

L'exemplaire que Proust réserva à Louis Brun date de cette époque. Dans son envoi à Louis Brun, le romancier rappelle son passage chez Grasset. «À Monsieur Louis Brun, ce livre qui passé à la N(ouve)lle Revue française n'a pas oublié son amitié première pour Grasset. Affectueux souvenir, Marcel Proust».

La dernière apparition publique du livre remonte à 1942. Vendu aux enchères, il avait été acquis par le bibliophile Roland Saucier (qui dirigeait la grande librairie Gallimard de Paris) et le conserva jusqu'à son décès en 1994.

Outre l'envoi adressé à Louis Brun, l'ouvrage comporte de nombreux documents autographes de Proust que l'éditeur de chez Grasset fit relier en fin de volume.

En lisant ces documents on se rend compte du soin avec lequel Proust surveillait les détails les plus concrets de l'édition: le prix, les caractères typographiques mais aussi la publicité, les communiqués à la presse. On est surpris quand on voit Proust, attaché de presse de lui-même, proposer de l'argent aux journalistes en échange d'un papier complaisant dans leur journal.

Avant la vente, le livre sera exposé chez Sotheby's du 26 au 28 octobre.