The Handmaid's Tale (La servante écarlate en français), roman dystopique de l'écrivaine canadienne Margaret Atwood publié en 1985, n'a rien perdu de sa pertinence - malheureusement, pourrait-on ajouter. Le service Hulu a commandé une série de dix épisodes, dont les deux premiers étaient diffusés dimanche sur la chaîne Bravo. Nous avons discuté avec Margaret Atwood du sens que son roman revêt aujourd'hui.

Le lendemain de l'investiture du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, se tenait la Marche des femmes à Washington et dans d'autres villes du monde. On a pu y voir des participantes costumées de robes écarlates comme dans le roman The Handmaid's Tale de Margaret Atwood. D'autres tenaient des pancartes où l'on pouvait lire «La servante écarlate n'est pas un guide d'instructions» ou «Make Margaret Atwood fiction again».

De toute évidence, plus de 30 ans après sa publication, ce roman dystopique effrayant demeure dans les mémoires des femmes inquiètes pour l'avenir de leurs droits. Est-ce que cela surprend son auteure?

«Non, parce que ce livre a été largement enseigné à l'école pendant des années, répond-elle. C'était déjà une référence politique lors des deux élections précédentes avec Obama, plus particulièrement quand des républicains faisaient des commentaires à propos du "vrai" viol. Quand ils disaient des choses comme: "Si c'est un vrai viol, les femmes ne tombent pas enceintes, et si elles tombent enceintes, ce n'est pas un vrai viol." D'où viennent ces mauvaises idées? Les gens leur répondaient avec The Handmaid's Tale

Margaret Atwood décrit dans ce roman une société américaine ayant sombré dans une théocratie rebaptisée la République de Gilead. Dans ce système, les femmes n'ont plus de droits et sont réduites à trois fonctions: Épouse de l'élite, Martha pour les travaux ménagers et Servante écarlate pour la procréation, puisque la pollution et les maladies ont rendu la plupart des femmes infertiles. Les servantes sont assignées à des couples de l'élite, doivent s'accoupler avec le mari couchées sur le corps de l'épouse et accoucher sur les cuisses de celle-ci, comme Rachel utilise sa servante dans la Bible pour donner un enfant à Jacob. C'est Offred, une servante, autrefois une femme libre, qui nous raconte la vie sous Gilead.

Comment un tel cauchemar peut-il avoir encore autant de résonance aujourd'hui? «Cela tient à la situation politique aux États-Unis, croit Margaret Atwood. Si Hillary Clinton avait gagné, nous en parlerions comme d'une fantaisie sur ce qui pourrait arriver et que nous avons évité. Mais telles que sont les choses, en particulier avec certains groupes qui ont appuyé monsieur Trump et voté pour lui, nous avons le sentiment que ça pourrait se produire. Pas de cette façon, mais nous pouvons voir dans certains États la diminution ou la disparition de droits que les gens croyaient garantis.»

Une série télé

Il est difficile en ce moment de mettre la main sur ce roman redevenu un best-seller depuis l'élection de Trump, mais aussi parce que le service Hulu vient de lancer une série télé de 10 épisodes inspirée du livre et portée par la comédienne Elisabeth Moss dans le rôle d'Offred. Le roman avait aussi fait l'objet d'un film en 1990 avec Natasha Richardson et Faye Dunaway.

Margaret Atwood a agi comme consultante sur cette nouvelle production et a même hérité d'une petite apparition dans un épisode. «J'ai rencontré le créateur [Bruce Miller], les scénaristes, les gens de l'équipe. Cela ne signifie pas que j'ai le dernier mot sur l'adaptation, mais j'ai été très chanceuse, car l'équipe est très impliquée, ce sont tous des gens talentueux et enthousiasmés par le projet.»

Les premières critiques sont très positives, et pour avoir vu les trois premiers épisodes, nous pouvons vous dire qu'il s'agit presque d'une série d'épouvante. Ajoutons aussi qu'il n'existe vraiment pas beaucoup de séries d'anticipation qui présentent le point de vue des femmes, ce qui fait toute l'originalité de cette production. C'était d'ailleurs l'intention de Margaret Atwood lorsqu'elle a commencé à écrire The Handmaid's Tale, dans les années 80. 

«À cette époque, il existait pas mal de dystopies, mais elles étaient surtout écrites par des hommes. À l'âge que j'ai, 77 ans, j'ai lu beaucoup de livres écrits par des hommes, ce qui vous donne une bonne vue d'ensemble de ce qu'ils sont capables de faire [rires]. J'ai pensé: que serait le roman 1984 s'il était du point de vue de Julia? À quoi ressemblerait ce regard sur le totalitarisme du point de vue d'une femme? Dans mon roman, je n'ai rien mis qui n'ait jamais été déjà fait quelque part ou à d'autres époques. Rien qui soit impossible du point de vue des comportements humains.»

Chacun injecte ses peurs dans ce roman qui a déjà été banni des écoles du Texas, il y a une dizaine d'années, parce que considéré comme «antireligieux». Certains y voient un message anti-chrétien, d'autres, un message anti-islam, plusieurs le considèrent comme un manifeste féministe. On lit tous avec nos grilles, mais que peut la fiction dans un monde de «faits alternatifs»? «La bonne chose avec la fiction, c'est que cela n'a pas à être de l'information, estime Margaret Atwood. Elle crée des mondes alternatifs que nous espérons être crédibles. Vous pouvez ressentir ce que vivent les personnages, cela peut vous initier à de nouvelles réalités d'une manière différente des faits. C'est une énorme plateforme pour comprendre les autres en profondeur, pour rendre impossible la déshumanisation des gens. Car déshumaniser les gens est le premier pas pour les oblitérer.»