Cachez vos enfants, la Bête est de retour ! Après La bête à sa mère et La bête et sa cage, l'antihéros de David Goudreault se lance dans une cavale meurtrière dans Abattre la bête, chapitre final de la trilogie. À l'invitation de La Presse, l'auteur et un groupe de professeurs ont échangé sur ce personnage infâme, ridicule - et pourtant attachant. La leçon a été ponctuée d'éclats de rire. Comme dirait la Bête: c'est documenté.

Les profs

Ils enseignent la chimie, la littérature, le cinéma, le français ou encore les techniques administratives, mais les membres de ce club, fondé il y a cinq ans, partagent une passion pour la lecture. Dynamique, le groupe est aussi ambitieux; après notre appel à tous, il s'était offert pour accueillir Réjean Ducharme ou Bob Dylan! Les sept lecteurs ont reçu le manuscrit d'Abattre la bête près d'un mois avant sa sortie en librairie.

Selma Bennani, professeure de littérature

Un livre marquant: La grosse femme d'à côté est enceinte de Michel Tremblay

Francis Salois, professeur de français et conjoint de Selma

Un livre marquant: Belle du Seigneur d'Albert Cohen

Isabelle Duchesne, professeure de chimie

Un livre marquant: La vie devant soi de Romain Gary

Dominique Chicoine, professeure de littérature

Un livre marquan: 37,2 le matin de Philippe Djian

Ariane Grisé, professeure en techniques administratives

Un livre marquant: Un été sur le Richelieu de Robert Soulières

Isabelle D'Amours, professeure de cinéma

Un livre marquant: L'avalée des avalés de Réjean Ducharme

Véronique Plourde, professeure de chimie

Un livre marquant: Le parfum de Patrick Süskind

L'auteur

David Goudreault

La voix du Sherbrookois s'est d'abord fait entendre par le slam. Puis il a proposé sa prose dans Premiers soins et S'édenter la chienne. C'est en 2015 que le travailleur social de formation se fait auteur avec La bête à sa mère, suivi de La bête et sa cage en 2016, tous deux remarqués par la critique et le public. En librairie depuis le 12 avril, Abattre la bête clôt la trilogie qu'il qualifie de «trashy-comique réaliste».

photo Bernard Brault, La Presse

David Goudreault

La rencontre

David Goudreault ne cache pas sa fébrilité en pénétrant dans la maison de Mont-Saint-Hilaire de Selma Bennani et de Francis Salois. « C'est coquet, comme tribunal ! », lance-t-il à la blague au club qui l'attend, manuscrit à la main. Mais l'ambiance est aussi chaleureuse que le thé à la menthe versé par l'hôtesse. La séance est ouverte.

Isabelle Duchesne : J'ai lu le premier tome, La bête à sa mère, à sa sortie [en 2015], et j'ai encore la première phrase en tête : « Ma mère se suicidait souvent. » Ça dit tout de la maladie mentale du personnage et de sa souffrance.

David Goudreault : Comme dit la chanson : « Peut-on guérir d'avoir un jour manqué d'amour ? » Je pense que c'est au coeur de plusieurs grands destins. Ça fait de grandes histoires, les gens poqués. Quand tu pars poqué, fucké, soit t'as une trajectoire qui va dans le mur à 100 milles à l'heure, et c'est intéressant de te regarder crasher, soit tu vas être résilient. Mais la résilience, c'est une exception. C'est un peu ça aussi, mon plaidoyer avec la trilogie : la résilience, ce n'est pas commun. C'est pour ça que c'est beau, d'ailleurs, la résilience. Mais partout, on ne parle que d'histoires de résilience, c'est ce qui fait triper dans les fauteuils à Marina ! [Rires.] Or, la réalité, c'est pas ça. Les prisons débordent de gens qui n'arrivent pas à être résilients.

Dominique Chicoine : Quand tu as commencé La bête à sa mère, est-ce que le style est venu avant l'histoire ? Est-ce que tu savais comment ce gars-là parlait avant de savoir ce qu'il allait faire ?

David Goudreault : Oui, absolument. En fait, la première phrase qui m'est venue, c'est : « Ma mère se suicidait souvent. » Je me suis dit que quand j'allais écrire un roman, ça serait le début. À ce moment-là, je travaillais pour le Centre d'aide aux victimes d'actes criminels. J'étais dans l'équipe d'urgence, alors les policiers me réveillaient la nuit par pagette, et j'allais faire des interventions. Et, en toute humilité, ce que je trouvais qui manquait à la littérature... [il hésite] québécoise... contemporaine...

Dominique Chicoine : Que de gants blancs ! [Rires.]

David Goudreault : Je prends des précautions ! Ce qui manquait, c'était la représentation du criminel minable, ordinaire, tel qu'il est pour vrai. J'ai accompagné des centaines de victimes d'actes criminels, et c'était très rarement des victimes de Hells Angels et de mafieux très intelligents, c'était rarement des victimes de quelqu'un à l'esprit génial ou maléfique. La plupart du temps, les policiers consultaient la victime et pognaient [le suspect] trois coins de rue plus loin, dans un parking. [...] Les criminels ne sont pas admirables, mais dans les histoires, on est souvent en présence d'un criminel cool. Je me suis demandé si j'étais prêt à me mettre dans la peau [d'un de ces petits minables], et j'ai décidé d'y aller à fond.

Isabelle Duchesne : Je vais être honnête. Quand j'ai lu le premier, j'ai adoré ça, mais je n'avais pas envie de lire le suivant tout de suite. Je ne voulais pas me replonger dans ce malaise.

David Goudreault : C'est magnifique, c'est parfait ! L'art, ça n'a pas à être juste beau et agréable.

Dominique Chicoine : Il faut que ça dérange.

David Goudreault : Et des fois, il faut que ça soit plaisant. Moi, j'en consomme aussi, du doux, du velouté, du chewing-gum.

Ariane Grisé : Est-ce qu'on est gêné de tenir des propos aussi racistes [dans le livre] ? Ou ce n'est pas grave, parce que c'est le personnage qui parle ?

David Goudreault : Non seulement c'est le personnage, donc ce n'est pas grave, mais la clé, comme il l'affirme lui-même, c'est : « Je suis pas sexiste ni raciste, moi, je méprise tout le monde égal. »

Selma Bennani : Comme Isabelle, j'étais gênée de rire dans le premier. J'étais troublée par ce que je lisais. Mais dans le troisième, j'ai vraiment ri !

Francis Salois : T'avais apprivoisé la Bête ! [Rires.]

Selma Bennani : En te lisant, j'ai pensé tout de suite à Réjean Ducharme. Le narrateur ressemble à Mille Milles [le héros du Nez qui voque]. Il a 16 ans, on ne sait pas trop d'où il vient, il fait des affirmations parfois vraies, parfois fausses...

Francis Salois : On en parlait à la maison. Selma disait reconnaître Mille Milles de Réjean Ducharme ; moi, Momo [le narrateur de La vie devant soi] de Romain Gary, mais qui n'aurait pas eu assez amour.

Dominique Chicoine : As-tu des auteurs marquants ?

David Goudreault : Ce sont les deux principaux ! [À Francis :] Tu dormiras pas sur le divan ce soir ! [Rires.] C'est très rare que je relise des livres, parce que j'angoisse en pensant à tous ceux que je n'ai pas encore lus. Mais La vie devant soi, je l'ai relu très, très souvent. Et je suis un grand fan de Ducharme. Je suis très reconnaissant, comme auteur québécois, des portes qu'il a ouvertes pour nous. Probablement qu'il y a plein de livres québécois, dont le mien, qui n'existeraient pas sans Ducharme. On essaie de défricher ailleurs, d'élargir le chemin, mais il a fait un gros travail en amont.

Dominique Chicoine : Est-ce qu'il y a un des trois livres qui était plus dur à écrire ?

David Goudreault : Celui pour lequel j'ai ressenti le plus de pression, c'est le dernier. Le premier, c'est la chance du débutant. J'aurais pu m'asseoir là-dessus deux ou trois ans. Mais de plus en plus de lecteurs demandaient une suite. Et un jour, Francine Ruel, qui est une femme merveilleuse, m'a appelé. Je lui ai dit que je travaillais sur un autre roman. Elle m'a dit : « Arrête tout de suite, ti-gars, rembarque sur la Bête ! » [Rires.]

J'ai accepté, mais il y avait une volonté de me mettre en danger. Pour ne pas rester pris avec le personnage pendant 10 ans, je me suis donné le défi littéraire de faire une trilogie en trois ans. J'ai écrit le deuxième sous pression et il a bien marché aussi. Est-ce que je vais tout bousiller avec le troisième ? Le vertige était plus là. J'ai ressenti un grand soulagement quand j'ai trouvé la finale.

La Presse : Pourquoi camper ce troisième volet à Montréal ?

David Goudreault : Quand j'ai écrit La bête à sa mère, j'étais super content de le camper à Sherbrooke, parce que je trouve qu'il y a beaucoup trop de choses qui se passent à Montréal, en vrai et en littérature. [...] Alors, il y a eu le côté « région ». Après, avec la prison de La bête et sa cage, c'était le huis clos. Au début de celui-ci, le personnage s'évade de Pinel. Est-ce que je devais le laisser à Montréal ou lui faire quitter l'île ? [...] J'ai eu le flash qu'il deviendrait « pimp punk ». Et tu ne peux pas être « pimp punk » à... Mont-Saint-Hilaire ! [Rires.]

Je pense que mon travail est toujours perfectible, mais il y a toujours quatre ou cinq phrases dont je suis vraiment satisfait. C'est le cas de « Au contraire de ce qu'on pourrait croire, Émilie Gamelin n'était pas une crackhead qui se vendait le cul pour payer sa roche. C'était une bienheureuse ». [Rires] Quand j'ai enregistré ça sur mon dictaphone, je me suis dit : OK, il reste à Montréal !

La Presse : Est-ce que c'est dur de laisser aller le personnage ?

David Goudreault : Probablement que la capacité de dire ces énormités va me manquer, sauf que je veux absolument me dégager de ce personnage et de ce ton-là. On dirait qu'il y a une joie de me dire que j'ai fini, parce que c'est très exigeant, psychologiquement, de passer 10 heures par jour à se demander comment ça pense, un tout-croche. En même temps, il y a un grand amour. Il va probablement y avoir un deuil à faire. Je connais plus ce personnage que certains membres de ma famille ! Je suis content d'enfin mettre le roman dans les mains des lecteurs, mais tout à l'heure, c'est au prochain, qui sortira en 2019 et qui est complètement autre chose, auquel je vais penser. [...] Et j'avais fait le tour. Avec un quatrième, ça aurait été quoi ? La bête dans l'espace ? La bête et les zombies ? [Rires.]

Le compte rendu de la discussion a été édité à des fins de concision et de « non-divulgâchage » !

MOT DE LA FIN



Au terme de la journée, un David Goudreault rassuré a proposé aux profs d'agir à titre de comité de lecture pour son prochain roman, ce qu'ils ont accepté avec enthousiasme. Pour nos protagonistes, il s'agissait assurément d'une fin heureuse. En sera-t-il de même pour la Bête ? La réponse dans Abattre la bête.