Président d'honneur du Salon du livre de Québec, Grégoire Delacourt débarque dans une ville où les cicatrices d'un attentat terroriste sont encore fraîches. La littérature, rappelle l'auteur du best-seller La liste de mes envies, peut être un merveilleux rempart contre la folie et la violence. Entrevue avec un homme qui dit avoir une dette envers les livres.

Grégoire Delacourt ne prend pas son rôle de président du Salon du livre de Québec à la légère. En entrevue avec La Presse, l'auteur qui vient de faire paraître Danser au bord de l'abîme, l'histoire d'une grande passion racontée du point de vue d'une femme, veut donner une couleur, un état d'esprit à l'évènement qui se tient jusqu'à dimanche dans la capitale.

« J'ai envie de parler de toutes les langues françaises, lance-t-il, celles du Québec, de la France, de la Belgique, des pays d'Afrique... ces langues qui ont la même racine, qui disent les mêmes choses, et dont la musique est plus belle que toutes les horreurs du monde. Car ce qui nous relie, c'est aussi la violence, les balles, la folie des gens. »

L'écrivain français avoue que les attentats d'il y a deux mois à la mosquée de Sainte-Foy l'ont marqué. Lui qui avait gardé le silence lors des attaques de Paris, sa ville, croit que le Salon du livre est une occasion de dire des choses fortes par rapport à la littérature. « Les livres sont une réponse importante au malheur du monde, croit-il. Ils sont un rempart contre tout ça, et ce salon doit être le lieu pour tricoter ensemble, malgré nos différences, des mots pour nous protéger et pour parler de ce qui est plus beau, c'est-à-dire la vie... »

PARCOURIR LE MONDE

Pour Grégoire Delacourt, la rencontre avec les lecteurs est un moment privilégié. « Quand vous écrivez, vous êtes dans un silence monacal, une solitude incroyable, dit-il. Quand le livre sort, on va dans le tumulte, le chaos, le bruit. On rencontre les gens qui nous lisent et on se nourrit. »

Les foires du livre sont une des nombreuses activités auxquelles participe cet écrivain très populaire.

« Depuis trois mois, c'est trois villes françaises par semaine, rappelle celui qui tient également un blogue dans lequel il partage ses coups de coeur littéraires. Vous rencontrez des gens, c'est galvanisant, puis le soir vous vous retrouvez tout seul dans votre petite chambre d'hôtel pourrie et vous repartez le lendemain matin prendre un train pour vous rendre à l'autre bout de la France. Mais j'aime ça, j'aime aller à la rencontre des lecteurs. Et puis avec mon dernier roman qui raconte l'histoire d'une passion, et qui parle au fond de l'amour de la vie, les gens se confient beaucoup, ils me racontent leur histoire. »

Grégoire Delacourt apprécie également ses rencontres avec les jeunes, dans les écoles où il se rend à la demande des enseignants. « Comme je ne suis ni un prof ni un parent, je peux dire des choses aux gamins », affirme-t-il.

Même les prisons l'invitent à venir discuter de ses livres entre leurs murs. « Je suis allé dans la plus grande prison d'Europe - la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis - où j'ai rencontré seul huit détenus, sans gardiens, pour échanger. Mais les hommes me faisaient peur, il y avait une telle violence, ça ne me correspondait pas... Je suis ensuite allé dans une prison de femmes, des détenues condamnées à de grosses peines pour infanticides et trafic de drogue. On a discuté de La liste de mes envies et ça c'est super bien passé. Elles m'ont réinvité pour parler de mon nouveau livre et je vais y aller. »

« On ne parle jamais de tout l'engagement qu'il y a autour d'un livre. Moi, je ne le fais pas parce que c'est mon métier, ce n'est pas un "métier" être écrivain. Je le fais par humanité, je trouve ça important. Les gens prennent le temps de nous lire, on n'a pas à être arrogant. »

- Grégoire Delacourt

UN ÉCRIVAIN LIBRE

Si Grégoire Delacourt est si généreux de son temps, c'est qu'il estime devoir beaucoup aux livres et à la littérature. Placé en pension à l'âge de 10 ans pour fuir une famille dysfonctionnelle, il a découvert les livres de Pagnol et surtout, l'existence d'autres vies que la sienne, des vies où l'amour et le bonheur étaient possibles. « Les livres m'ont appris qu'il existait des solutions, des promesses et des émotions que je ne connaissais pas. Je pense que si j'écris, c'est inconsciemment pour dire merci aux livres. »

Les livres le lui rendent bien. Car ce « jeune » écrivain - il a commencé à publier alors qu'il était au début de la cinquantaine - connaît une carrière fulgurante. Les droits de plusieurs de ses romans, dont le dernier, ont été achetés pour le cinéma et La liste de mes envies a également été adapté au théâtre. Or, malgré son immense succès, Grégoire Delacourt garde les deux pieds sur terre et n'a pas cessé de travailler comme publicitaire, un métier qu'il pratique depuis plusieurs décennies.

« J'écris parce que ça me fait plaisir, pas pour que ça me rapporte, lance-t-il avec conviction. Je n'ai pas besoin d'écrire pour gagner ma vie et quelle liberté ! Il ne faut pas écrire pour que ça marche, car ça ne marchera jamais. J'ai réduit les activités de l'agence parce que les temps sont plus difficiles, mais je ne fermerai pas parce que j'écris des livres. Pour qui je me prendrais ? C'est très important de rester dans la vraie vie, de continuer à régler des problèmes de clients, de patrons d'entreprise. J'écris ce que je veux quand je veux. C'est ça, ma liberté... »

Le Salon international du livre de Québec se tient jusqu'au dimanche 9 avril.