L'aboutissement de la tournée Faut qu'on se parle, menée par Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-Martin Aussant, un minuscule recueil de la lauréate du Goncourt 2016, Leïla Slimani, et les écrits d'une journaliste turque emprisonnée: parmi les essais qui sont parus récemment, en voici trois qui ont retenu notre attention.

De quoi ont-ils parlé?

L'an dernier, un collectif composé de neuf personnes, dont Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-Martin Aussant, a entrepris une vaste tournée pour prendre le pouls des Québécois à travers l'initiative Faut qu'on se parle. Le groupe était en quête d'un remède contre le fatalisme ambiant. Il l'a trouvé dans plus de 160 assemblées de cuisine et 19 assemblées publiques. L'enthousiasme qu'a suscité la démarche - ils ont reçu 6980 propositions - a agréablement surpris ses membres, qui publient un livre pour rendre compte des idées débattues durant toutes ces rencontres. Alors, qu'est-ce qui préoccupe les Québécois? En haut de la liste, on retrouve l'éducation. Les gens qui se sont exprimés souhaitent aussi un développement économique soucieux de l'écologie, une réconciliation avec les Premières Nations, etc. De nobles idéaux qui risquent de rester au stade des idéaux si personne ne s'en empare. Après Faut qu'on se parle, Faut qu'on agisse? Les auteurs jurent qu'il ne s'agit pas de la base d'un programme politique, mais difficile de croire qu'ils ont fait tout cet exercice pour rien. Gabriel Nadeau Dubois sera-t-il candidat pour Québec solidaire? Jean-Martin Aussant reviendra-t-il à la politique? On attend la suite.

Ne renonçons à rien

Collectif d'auteurs

Lux

221 pages

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Des mots qui bousculent

C'est un minuscule recueil d'une cinquantaine de pages, mais on y retrouve le condensé de l'écriture de Leïla Slimani. Si vous avez aimé sa plume dans le terrible Chanson douce, vous allez apprécier ces petits textes incisifs rédigés pour la revue Un. On y trouve quelques nouvelles ainsi que des textes d'opinion écrits au lendemain des attentats à Paris et qui sont animés par une véritable rage. Dans Une armée de plumes, publié en janvier 2015, Slimani réitère l'importance de la littérature pour mettre à distance des attentats d'une rare violence. Elle critique Michel Houellebecq, qui revendiquait pour sa part la neutralité de l'écrivain. Les romans ne changent peut-être pas le monde, écrit Slimani, mais ils modifient dans l'esprit du lecteur la vision que l'on en a. Dans un texte publié le 18 novembre 2015, cinq jours après l'attentat du Bataclan, l'écrivaine d'origine marocaine écrit: «Je n'ai qu'une chose à dire aux barbares, aux terroristes, aux intégristes de tout poil: je vous hais.» La lauréate du Goncourt 2016 ne se limite pas à la fiction et c'est tant mieux pour nous. Elle publiera au courant de l'année Sexe et mensonges, la vie sexuelle au Maroc. On a très hâte.

Le diable est dans les détails

Leïla Slimani

Éditions de l'aube

57 pages

Une plume courageuse

Emprisonnée pour ses écrits, accusée de terrorisme, la journaliste et romancière turque Asli Erdogan (aucun lien de parenté avec le président turc) risquait la prison à vie si elle était reconnue coupable. Coupable de quoi? D'avoir eu le courage d'exposer les agissements du régime autoritaire d'Erdogan qui l'accuse d'avoir conspiré à détruire et à diviser l'État turc. Ces accusations sont plus ou moins tombées aujourd'hui, mais l'écrivaine risque tout de même de deux à trois ans de prison pour propagande. Les écrits qui ont tant dérangé le pouvoir turc sont des textes publiés dans le journal pro-kurde Özgür Gündem. Rédigés au cours de la dernière décennie, ils racontent l'histoire d'un pays qui va mal, déchiré par la guerre civile entre les Kurdes et l'armée turque, blessé par les nombreux attentats terroristes, un pays où les droits de la personne sont de plus en plus fragilisés. Féministe affichée, Asli Erdogan exprime sa colère et dénonce la situation des femmes dans un pays qui respecte de moins en moins leurs droits. Une très belle plume pour décrire une situation des plus tragiques. L'auteure a été libérée en décembre dernier après 133 jours de détention. Il faut la lire.

Le silence même n'est plus à toi

Asli Erdoğan

Actes Sud

171 pages