Depuis mardi, les inconditionnels de l'écrivaine italienne Elena Ferrante peuvent se procurer Frantumaglia, un recueil de textes qui nous fait mieux connaître la célèbre auteure de la saga napolitaine.

Au fil des lettres échangées avec son éditeur et des nombreuses entrevues accordées aux médias dans le monde, on découvre les contours d'une personnalité complexe qui refuse la facilité et les compromis. Profonde, perfectionniste, hyper jalouse de son intimité, Ferrante confie que lorsqu'elle n'écrit pas, elle consacre son temps à étudier, traduire et enseigner. Nous avons dévoré la correspondance de cette écrivaine culte.

À propos de son anonymat

Depuis le début de sa carrière, Elena Ferrante (un pseudonyme) a choisi de demeurer anonyme. Et les efforts récents d'un journaliste pour découvrir son identité n'ont rien changé à sa volonté de protéger jalousement sa vie privée. Ce n'est pas une lubie de vedette. Dès le début de sa carrière, l'auteure de L'amie prodigieuse a mis les choses au clair avec ses éditeurs dans une lettre qu'on retrouve au début du recueil. En gros, Ferrante explique qu'elle n'a nullement l'intention de se prêter au jeu de la promotion pour son premier roman, L'amour harcelant. «J'ai fait suffisamment pour cette histoire, dit-elle. Je l'ai écrite.»

Si le livre vaut quelque chose, poursuit-elle, ce sera suffisant. Elle précise qu'elle ne participera à aucune conférence, qu'elle n'assistera à aucune remise de prix et qu'elle accordera un minimum d'entrevues, uniquement par écrit. Ferrante conclut que, dans l'éventualité où elle n'obtiendrait pas l'appui de ses éditeurs, elle ne publierait tout simplement pas son livre.

À propos de son anonymat (bis)

La question de sa véritable identité revient invariablement dans toutes les entrevues qu'Elena Ferrante accorde au fil des ans. Pour certains journalistes, ce désir d'anonymat est tout simplement incompréhensible. «Je ne me suis jamais exposée publiquement», écrira-t-elle dans une lettre destinée au journaliste Goffredo Fofi, que certains ont déjà soupçonné d'être celui qui se cachait derrière le pseudonyme Ferrante. Dans cette missive qu'elle n'a finalement jamais envoyée, elle écrit manquer de courage physique pour s'exposer publiquement. L'écrivaine explique qu'elle s'implique totalement et physiquement dans l'écriture de ses livres et qu'elle ressort de l'exercice «saccagée à l'intérieur». Une fois le manuscrit terminé, son seul désir est de prendre ses distances, de se reconstruire, avoue-t-elle. Elle ajoute que son anonymat lui donne un espace de liberté créative absolue sans lequel elle se sentirait vraiment dépossédée.

Sur Naples

«Naples c'est ma ville et je ne sais pas comment m'en séparer même quand je la déteste», écrit Elena Ferrante. L'auteure de la saga napolitaine dit avoir besoin de retourner dans sa ville natale pour se retrouver avant de retourner à l'écriture avec conviction.

Sur le féminisme

Elena Ferrante considère que le féminisme a été très important dans sa vie. Il lui a appris à plonger en elle-même. C'est dans l'affrontement entre femmes - qui peut être très dur - qu'elle a appris à écrire vrai. «Je n'écris pas pour illustrer une idéologie», précise toutefois Ferrante, qui est une lectrice passionnée de la pensée féministe, mais qui ne se considère absolument pas comme une militante. Elle note que la génération de ses filles semble croire qu'elle a hérité d'une liberté qu'elle considère comme «naturelle» et non pas comme le fruit d'une longue lutte. «Dans mon entourage, écrit-elle, j'ai des connaissances érudites qui tendent à ignorer le travail intellectuel des femmes ou à s'en moquer.» Heureusement, se réjouit-elle, il y a de jeunes femmes et de jeunes hommes curieux, qui s'informent et tentent de comprendre.

Sur la maternité

Le rôle des filles et des mères est au coeur de l'oeuvre d'Elena Ferrante. «Je crois que je n'ai jamais écrit sur autre chose», confie-t-elle à une journaliste du New York Times. L'écrivaine raconte qu'elle a commencé à écrire avant d'avoir des enfants et que son écriture - qu'elle considère comme une oeuvre de reproduction au même titre que la maternité - a souvent interféré avec sa vie de mère.

Sur l'écriture

Elena Ferrante explique qu'elle n'a pas vraiment de routine d'écriture. Elle aime travailler dans un espace clos. Dans son bureau, on retrouve entre autres une reproduction de Matisse (une femme assise à une table en train de lire devant une fenêtre ouverte, accompagnée d'un enfant), un caillou en forme de hibou, un couvercle métallique rouge trouvé dans la rue alors qu'elle avait 12 ans. Une de ses grandes inspirations est l'écrivaine Elsa Morante.

«J'essaie d'apprendre de ses livres, confie-t-elle, mais je les trouve insurpassables.» Ferrante dit s'investir corps et âme dans l'écriture. Lorsqu'elle est épuisée, elle vaque aux tâches du quotidien. Mais elle ne considère pas l'acte d'écrire comme un travail. «Un travail est quelque chose qui impose un horaire avec des heures fixes, explique- t-elle. Moi, j'écris tout le temps, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Il y doit avoir urgence, cela dit, sinon j'ai toujours mieux à faire.»

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Frantumaglia: A Writer's Journey (en anglais). Elena Ferrante. Europa Editions, 400 pages.

Image fournie par Europa Editions

Frantumaglia: A Writer's Journey, d'Elena Ferrante