Il faudra patienter jusqu'à jeudi, le dernier jour de la saison Nobel 2016, pour connaître le nom du lauréat du prix de littérature, une attente exceptionnelle qui pourrait s'expliquer par le choix d'un auteur engagé, tel que le Français d'origine syrienne Adonis.

L'Académie suédoise, qui décerne le prix, a expliqué fin septembre que, pour des raisons de calendrier, elle n'annoncerait pas le prix la même semaine que les autres créés par Alfred Nobel.

«Cela laisse encore un peu de temps pour spéculer» sur l'identité du lauréat, plaisantait alors l'académicien Per Wästberg, interrogé par l'AFP.

Nombre d'observateurs croient lire dans cette entorse à la tradition le signe d'une discorde quant au choix du lauréat.

«Selon moi, ce n'est absolument pas une quelconque question de "calendrier", estime Björn Wiman, responsable des pages culturelles du quotidien Dagens Nyheter.

«Cela montre un désaccord dans le processus d'attribution du prix».

Mattias Berg, journaliste culturel à la radio publique SR, avance l'hypothèse que les académiciens suédois s'étrillent à propos d'un «lauréat politiquement controversé, comme Adonis», le poète franco-syrien dont la dernière publication est un brûlot sur l'islam politique.

«Le prix serait alors compris comme une prise de position», conclut M. Wiman.

Si l'Académie veut récompenser une oeuvre engagée, elle pourrait également choisir de couronner le Britannique Salman Rushdie. En mars dernier, elle avait enfin dénoncé la fatwa visant l'auteur des Versets sataniques, près de trente ans après avoir refusé de prendre position au prétexte de son indépendance.

Entretenir le suspense

Une seule certitude à deux jours du grand jour: on sait qu'on ne sait rien, résume Madelaine Levy, critique littéraire du quotidien Svenska Dagbladet.

Les noms du Kenyan Ngugi wa Thiong'o, des Américains Don DeLillo ou Joyce Carol Oates, du Japonais Haruki Murakami reviennent fréquemment mais personne n'y laisserait sa main à couper.

Pour le millésime 2016, Björn Wiman, responsable des pages culturelles du quotidien Dagens Nyheter, donne un tiercé dans le désordre: «Je pense que ce sera (le Norvégien Jon) Fosse, j'espère (l'Israélien David) Grossman et me réjouis à l'idée (de l'Italienne Elena) Ferrante».

Aux spéculations, l'Académie répond par un silence poli. «Certaines personnes veulent savoir ce qu'il y a dans les cadeaux de Noël et certaines veulent être surprises. Nous voulons vous surprendre», se défend Odd Zschiedrich, chancelier de la respectable institution.

La méthode est immuable: en février, l'Académie établit une liste de toutes les candidatures qui lui ont été soumises, avant de la réduire en mai à cinq noms, sur lesquels ses membres planchent pendant l'été avant de déterminer l'élu. Début octobre, arrive pour lui la consécration.

En 2015, l'Académie avait d'ailleurs surpris «en ne surprenant pas», note M. Wiman. Leur choix s'était porté sur la Bélarusse Svetlana Alexievitch, dont l'oeuvre documentaire était donnée favorite des milieux littéraires et des sites de paris en ligne, de plus en plus nombreux à permettre de miser sur cette drôle de compétition.

Cette année les oracles entrevoient un retour à la fiction - prose, théâtre ou poésie.

Murakami, grand favori des parieurs et du public, ne devrait pas obtenir les suffrages de l'Académie. Trop superficiel, affirme-t-on unanimement dans les milieux littéraires.

Un écrivain américain?

«Il y a de la marge pour une catégorie d'auteurs qui n'ont pas encore été primés», comme ce qui avait été le cas avec Alice Munro et les nouvelles et Alexievitch et le reportage littéraire, estime Mattias Berg.

Il miserait pourtant plutôt sur l'Américaine Joyce Carol Oates, auteur de romans, le genre le plus récompensé de loin.

Et puis, le prix devrait aller à une femme, d'autant que l'Académie s'est féminisée. Depuis 1901, seulement 14 femmes ont été récompensées contre 98 hommes.

Les États-Unis, primés la dernière fois en 1993, pourraient être mis à l'honneur. «Ça fait longtemps qu'un auteur américain n'a pas reçu le prix. C'est pour cela que le grand roman américain est sous-représenté», note Mme Levy.

Les considérations géographiques et de sexe sont pourtant étrangères à l'Académie, martèle son chancelier. «La seule chose qui intéresse l'Académie est de savoir si l'auteur est doué, si son écriture est meilleure que celle des autres écrivains sélectionnés», conclut M. Zschiedrich.