«Je ne déménage plus», nous avait dit Bruno Lalonde, en l'an 2000, lorsqu'il avait présenté à La Presse sa collection de 20 000 livres entassés dans son nouveau condo. Aujourd'hui, en combinant sa bibliothèque personnelle et sa librairie, Bruno Lalonde doit gérer l'entreposage de 50 000 livres, car, amoureux fou et jeune marié, il a décidé de tout déménager! Discussion avec un boulimique des bouquins, au beau milieu de sa tâche titanesque de déplacement.

Nouvellement marié avec Fabienne Roques, artiste peintre, Bruno Lalonde a accepté de faire ce qu'il pensait ne plus faire en achetant ce condo: vendre et déménager. Mais jamais sans ses livres. «Fabienne est folle des livres elle aussi, précise-t-il. Elle dit souvent que toutes les solutions aux problèmes se trouvent dans les livres.» En fait, ils ont un grand projet: acheter un immeuble qui pourra loger, au premier étage, sa librairie et, à l'autre étage, l'atelier de sa femme, ainsi qu'un appartement qu'il compte transformer en une sorte de musée personnel, où ils espèrent tenir salon en recevant des gens passionnants. «Je veux que ce soit un milieu de vie, une oeuvre d'art», dit le libraire, qui se donne un an pour réaliser son rêve.

Pour réussir à vendre son condo, Bruno Lalonde est bien obligé de faire du «home staging» afin de ne pas faire fuir d'éventuels acheteurs qui verront des livres empilés jusqu'au plafond. Mais pourquoi diable conserver AUTANT d'ouvrages, surtout que de nos jours, la mode est plutôt du côté d'un environnement zen? «Je suis persuadé que les gens qui n'ont rien dans leur appartement zen sont pleins de névroses, répond Bruno, toujours en riant. Moi, je n'ai qu'une névrose, qui me protège de toutes les autres, et elle me rend heureux.» Il raconte qu'enfant, on lui a confisqué sa bibliothèque parce qu'il avait de mauvais résultats scolaires, uniquement obsédé par la lecture. On peut dire que l'enfant continue de prendre sa revanche...

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Afin de libérer son appartement, Bruno Lalonde a loué un espace dans un entrepôt de la rue Notre-Dame, qui lui coûte 150 $ par mois, et où s'entassent uniquement des boîtes de livres. Lorsque nous l'avons rencontré il y a deux semaines, il avait déjà transféré 300 boîtes, ce qui représente environ 12 000 livres. «Ça prend de l'énergie, une bibliothèque comme la mienne. Et de la créativité. C'est une création!»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Afin de libérer son appartement, Bruno Lalonde a loué un espace dans un entrepôt de la rue Notre-Dame, qui lui coûte 150 $ par mois, et où s’entassent uniquement des boîtes de livres. Lorsque nous l’avons rencontré il y a deux semaines, il avait déjà transféré 300 boîtes, ce qui représente environ 12 000 livres. « Ça prend de l’énergie, une bibliothèque comme la mienne. Et de la créativité. C’est une création ! »

Bruno Lalonde estime n'avoir lu que 20 % de sa collection - ce qui représente quand même le rendement d'un très grand lecteur, vu la quantité qu'il possède! Il décline sa collection personnelle ainsi: «J'en ai lu 5000, j'en ai feuilletés 5000 autres, il y en a 5000 que je compte lire dans un futur imaginaire, 5000 que je conserve pour la beauté de la chose et 5000 qui sont présentement au ballottage».

En l'an 2000 (notre photo), Bruno Lalonde ne possédait «que» 20 000 livres. «Je suis le contraire d'un nomade, je ne bouge pas, souligne le libraire. Moi, je veux me promener la nuit dans ma librairie, ma bibliothèque.»

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

«Tout le monde dit que le livre va disparaître, mais on se rend compte de plus en plus que non, ça ne va pas arriver, les gens y sont encore attachés, pense Bruno Lalonde. Tout le monde pressent que si les livres disparaissent, ils vont disparaître avec, eux aussi. Les préserver est un dernier geste de civilisation. Mais le livre, contrairement à un objet de luxe, ou un tableau, est complexe. Il faut un savoir pour l'apprécier, pour faire la différence entre un bon et un mauvais livre.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Le collectionneur possède de nombreuses raretés. Un manifeste original du FLQ, des sculptures de Roch Plante (Réjean Ducharme), des livres d'art à tirage limité, des exemplaires dédicacés, comme ce livre-ci (notre photo), signé par l'artiste français Marcel Duchamp. Bruno Lalonde est aussi un youtubeur actif, et il parle bien sûr de livres. C'est en voyant l'une de ses vidéos que Christian Galantaris, auteur du Manuel de bibliophilie en deux tomes, considéré comme la bible des collectionneurs, lui a par la suite écrit une lettre de remerciements qui fait partie des archives précieuses de Lalonde.

Pour visionner la vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=wxT8-g3g-tM

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Le dernier chapitre de sa vie de collectionneur, Bruno l'a déjà en tête. «Je vais tout vendre», promet celui qui a toujours considéré la succession comme le grand ennemi des collectionneurs, puisqu'elle disperse souvent n'importe comment l'oeuvre d'une vie. «On bazarde tout, on va tous les déshériter! lance-t-il en riant. Il faut mourir léger.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse