Après avoir conquis les touristes et séduit les mordus de soccer, l'Islande prend d'assaut l'univers du roman policier. Immersion au coeur de la vague islandaise.

De nouveaux héros

Avec plus de 12 millions d'exemplaires de ses romans vendus à ce jour, l'Islandais Arnaldur Indridason trône incontestablement parmi les grands maîtres du polar. Et malgré le scepticisme qui avait entouré la publication de ses premiers romans, l'écrivain à la renommée internationale fait des émules.

« Le polar n'était pas du tout un genre islandais au départ, explique Éric Boury, le traducteur français d'Arnaldur, joint chez lui en France. Beaucoup de gens considéraient que l'Islande comme cadre d'enquêtes criminelles avait un côté complètement ridicule, dans le sens où l'intrigue n'était pas du tout crédible, ou réaliste, parce qu'on parlait de crimes qui n'avaient pas lieu. »

Or, les Islandais sont très friands du genre depuis quelques années, soutient Bryndís Loftsdóttir, directrice adjointe de l'association des éditeurs islandais. Et ces polars se traduisent de plus en plus en français.

Cet été est paru aux Éditions de La Martinière le premier roman de Ragnar Jónasson, Snjór. Ce premier tome d'une série de cinq romans introduit le jeune policier Ari Thór, muté dans le nord de l'Islande sitôt l'école de police terminée. C'est l'agent d'Henning Mankell qui a découvert l'auteur et le succès international n'a pas tardé, tel qu'espéré : le quotidien britannique The Independent a sacré Snjór meilleur roman policier de 2015, et la suite est déjà prévue en français pour le printemps prochain.

Le lectorat francophone aura également droit en 2017 au premier tome d'une trilogie signée Lilja Sigurdardóttir, dont l'héroïne est une hors-la-loi lesbienne impliquée dans un trafic de drogue et qui promet de faire tout un tabac.

Une nouvelle série d'Arnaldur

Arnaldur Indridason, de son côté, est loin d'avoir écrit son dernier mot, même s'il avait plus ou moins mis fin à la carrière de son commissaire Erlendur dans Étranges rivages.

En juillet dernier, le traducteur Éric Boury achevait le premier tome d'une nouvelle série d'Arnaldur, qui doit paraître à l'hiver chez son éditeur français, Métailié. La trilogie met en scène deux inspecteurs pendant la guerre, confie le traducteur, tout en précisant que le titre n'est pas encore trouvé.

« J'avais un peu peur de moins aimer ces policiers, et en fait, je les apprécie tout autant qu'Erlendur. J'ai été complètement séduit par l'atmosphère du livre. Il m'a bouleversé par moments. Arnaldur sait mettre son lecteur en attente et générer une émotion très forte. Je me rappelle d'un passage, j'avais la boule dans la gorge lorsque je l'ai traduit. »

Selon nos recherches, il s'agirait de Skuggasund, 17e roman d'Arnaldur, paru en islandais en 2013. Mais au moment d'écrire ces lignes, aucune date de parution n'était encore déterminée.

PHOTO FOURNIE PAR MÉTAILIÉ

Arnaldur Indridason

Inspirante terre de glace

Au pays des champs de lave et des glaciers qui ont inspiré Arnaldur Indridason, on écrit « pour oublier le froid et l'obscurité », raconte Ragnar Jónasson dans Snjór

Comme le personnage de son roman, l'auteur choisit l'hiver pour délier sa plume, ces longs mois d'obscurité où la météo imprévisible et impitoyable peut rebuter même les moins frileux. « L'été, je change mes habitudes complètement et je passe beaucoup plus de temps à l'extérieur », reconnaît-il de Reykjavík, où il habite. 

C'est cependant bien loin de la capitale que sont situés ses romans. Précisément à Siglufjördur, une ville de 1200 âmes dans le nord de l'Islande, où ont vécu ses grands-parents. La même où a été filmée la série télévisée à succès Trapped, de Baltasar Kormákur, diffusée notamment par la BBC l'hiver dernier. « C'est le théâtre idéal pour un roman policier », estime Ragnar Jónasson.

Niché dans un fjord cerné d'imposantes montagnes, Siglufjördur n'est accessible que par un tunnel fréquemment bloqué par les tempêtes de neige durant l'hiver. La noirceur quasi permanente, qui s'étire de novembre à janvier, ajoute au décor un élément surréel.

L'Islande au complet semble d'ailleurs exercer une véritable fascination sur les amateurs d'intrigues policières. Le Britannique Quentin Bates, traducteur anglais des romans de Ragnar Jónasson, s'est lui-même laissé inspirer par le pays où il a vécu plusieurs années pour écrire sa propre série située en terre de glace, centrée autour de la sergente Gunnhildur. Il y a quelques années, il a découvert qu'il n'était pas le seul à s'inspirer des paysages sauvages du nord et qu'il existait, à sa grande surprise, plusieurs « prétendants nordiques ».

« L'Islande est un cadre intéressant, admet-il. Mais le défi, c'est qu'on se retrouve constamment dans une intrigue à huis clos parce qu'on se trouve dans une île très peu peuplée. Il n'y a pas d'échappatoire possible. Le protagoniste ne peut pas disparaître, quitter la ville et changer de nom parce que, tôt ou tard, il va rencontrer quelqu'un qui le connaît. »

C'est sous ces cieux battus par les vents, à Reykjavík même, que Ragnar Jónasson, Quentin Bates et l'auteure de polars Yrsa Sigurdardóttir ont décidé, en 2013, de créer un festival de polars. L'événement baptisé Iceland Noir a reçu nul autre qu'Arnaldur Indridason à titre d'invité d'honneur lors de la première édition, et s'apprête à accueillir dans quelques mois bon nombre d'auteurs venus de l'étranger, dont l'Écossaise Val McDermid.

« Tout se passe en anglais et nous avons des visiteurs de partout », dit Ragnar Jónasson, qui prépare la quatrième édition, en novembre prochain. L'atmosphère lugubre et l'obscurité hivernale, elles, seront bien entendu au rendez-vous.

Photo Laila Maalouf, La Presse

L'intrigue du roman Snjór, de Ragnar Jónasson, est campée dans la ville de Siglufjördur, dans le nord de l'Islande.

Des auteurs islandais

Outre Arnaldur Indridason, plusieurs auteurs islandais ont déjà conquis le lectorat francophone - ou s'apprêtent à le faire. En voici quatre.

Ragnar Jónasson

Avocat à temps plein, l'auteur de Snjór (en librairie depuis juin) a commencé très jeune à s'intéresser au roman policier, traduisant 14 romans d'Agatha Christie en islandais dès l'âge de 17 ans.

Une deuxième enquête mettant en vedette le policier Ari Thór est prévue en français au printemps prochain. Une série télévisée en anglais est par ailleurs en cours de scénarisation.

Photo tirée de Twitter

Yrsa Sigurdardóttir

Si Arnaldur est le roi du polar islandais, Yrsa en est la reine, selon Ragnar Jónasson. Cette ingénieure civile est l'auteure de 11 romans policiers, dont une série avec l'avocate Thóra Gudmundsdóttir. 

Indésirable, son quatrième roman traduit en français, est paru en mars dernier chez Actes Sud et raconte la sombre histoire derrière un foyer pour adolescents à problèmes.

Photo tirée de Facebook

Lilja Sigurdardóttir

Étoile montante du polar islandais, Lilja est l'auteure de trois romans dont le plus récent, Piégée, doit paraître en 2017 en français chez Métailié (qui publie notamment les romans d'Arnaldur Indridason).

Ce premier titre d'une trilogie, adulé par les médias islandais, n'est pas passé inaperçu à l'étranger : une maison de production hollywoodienne en a déjà acquis les droits pour un film.

Photo tirée de Facebook

Arni Thorarinsson

Journaliste comme le héros de sa série policière, le cynique Einar, il est l'auteur de polars islandais les plus traduits en français après Arnaldur Indridason.

Son sixième titre dans la langue de Molière, en librairie depuis mars dernier, est un thriller noir intitulé Le crime : histoire d'amour, et met en scène de nouveaux protagonistes.

Photo Métailié

Petite nation, grandes ambitions

Egill Örn Jóhannsson ne se le cache pas : son pays est à la mode. « Depuis 2009, le nombre de touristes a triplé en Islande », affirme au bout du fil le directeur de Forlagid, la plus importante maison d'édition islandaise. « Et récemment, avec le succès de notre équipe de soccer [au championnat d'Europe], beaucoup d'éditeurs étrangers nous ont contactés à la recherche de titres à publier. »

Fort heureusement, l'Islande a non seulement un grand nombre d'écrivains, ajoute le directeur, mais des auteurs qui, de surcroît, produisent une littérature de grande qualité. « C'est pour cette raison, à mon avis, que nos livres voyagent autant. »

Selon un compte-rendu de la BBC, un Islandais sur dix parviendra à faire publier un livre au courant de sa vie, et le pays compte plus d'écrivains, de livres publiés et de livres lus par habitant que n'importe quel autre.

« Nous avons un dicton ici : chaque Islandais a un livre dans son ventre qui n'attend que de sortir. Tous les Islandais ont soit écrit un livre, soit l'envie d'en écrire un, ou bien ils travaillent dans l'édition », dit Egill Örn Jóhannsson, un sourire dans la voix.

La maison Forlagid compte à elle seule autour de 1000 auteurs actifs et reçoit en moyenne un manuscrit par jour. En Islande, le nombre de livres publiés par an, tous genres confondus et incluant les traductions, oscille entre 800 et 1000 livres, ce qui est considérable compte tenu de la taille de la population, note M. Jóhannsson. « La littérature a toujours joué un rôle capital en Islande », précise-t-il.

L'héritage culturel de cette nation de lecteurs et d'écrivains remonte aux sagas du Moyen-Âge, alors que le pays peut se targuer de compter un Prix Nobel de littérature en la personne de Halldór Laxness (lauréat de 1955). La capitale, Reykjavík, était par ailleurs la cinquième au monde à être désignée ville de littérature par l'UNESCO, en 2011.

Afin de diffuser cette littérature hors de ses frontières, les éditeurs islandais participent fidèlement aux grandes foires du livre comme celles de Londres, Francfort ou Göteborg. L'Icelandic Literature Center s'occupe pour sa part d'apporter le coup de pouce financier nécessaire à l'exportation des oeuvres islandaises.

Agla Magnúsdóttir, qui gère la division des projets de littérature et de la promotion au sein de l'organisme, explique que des subventions sont notamment offertes aux éditeurs étrangers qui souhaitent traduire des livres islandais, ainsi que des programmes de résidence de traduction de quelques semaines à Reykjavík. L'Icelandic Literature Center accorde également des bourses de voyage aux auteurs et éditeurs islandais pour la promotion de leurs oeuvres à l'étranger.

Le seul frein aux ambitions des maisons d'édition islandaises serait le nombre restreint de traducteurs de l'islandais. « Cela nous force à organiser scrupuleusement le travail des traducteurs, qui sont déjà fort occupés », souligne Egill Örn Jóhannsson.

PHOTO LAILA MAALOUF, LA PRESSE

Les Islandais sont de grands lecteurs. Sur la photo, la section livres du marché aux puces Kolaportid, à Reykjavík.