Les plaisanteries ont fusé dès que ça s'est su. « Tu vas CHEZ Bret Easton Ellis ? Si tout est recouvert de plastique dans son condo, tu cours ! » Bon, on se calme. L'auteur d'American Psycho n'est pas Patrick Bateman. Et son appartement n'a rien à voir avec celui dans lequel Christian Bale évoluait, violait et massacrait dans le film de Mary Harron (2000).

D'abord, le romancier a quitté New York en 2006 pour fuir les souvenirs attachés à un compagnon mort et « parce qu' [il en avait] fini avec cette ville. » « J'y ai passé 18 ans, j'y ai eu du très bon temps jusqu'à ce que... ce ne soit plus aussi bon. » Il vit maintenant à Los Angeles, dans un immeuble planté sur la frontière entre Beverly Hills et West Hollywood. Un concierge au comptoir, dans l'entrée, mais un décor sans flamboyance.

L'ascenseur, anonyme, s'ouvre au 11étage, sur un couloir nu et sombre. Bret Easton Ellis y occupe, avec le chanteur pop Todd Michael Schultz, un appartement labyrinthique tout en longueur. D'un côté, celui du couloir, un mur aveugle. De l'autre, c'est baie vitrée après baie vitrée, donnant sur les rues bordées de palmiers et, au loin, les tours du centre-ville de Los Angeles.

À présent âgé de 52 ans, l'auteur reçoit, tout vêtu de noir. Pas signé en costume Armani, toutefois, telle l'image restée de ses années new-yorkaises, mais en survêtement. Direction, son bureau. Avant d'y parvenir, dans chaque pièce traversée, un téléviseur diffusant les nouvelles en continu.

Celui qui ne dédaigne pas une bonne controverse - il venait d'en provoquer une en « twittant » que ses longs métrages préférés jusqu'ici en 2016 était le conte baroque Tale of Tales, le film d'horreur Green Room et... le Batman v Superman éreinté par la critique : « Aucun de ces films n'est parfait, mais ils ont tous des qualités » - s'installe à sa table de travail.

Et, en guise d'entrée en matière : « En faisant mes courses, en conduisant pour revenir ici, je me demandais bien ce que vous aviez à me demander, ce que je pouvais dire que je n'ai pas encore dit. » Oups. Un ange passe. L'exercice risque d'être pénible.

En fait, ce sera tout le contraire. 

Quand il commence à parler, Bret Easton Ellis est passionnant. Percutant. Provoquant. Pas politiquement correct. Et intarissable. Au bout d'une heure, il fallait partir. Il aurait pu continuer.

Q: Vous venez de faire votre entrée dans la collection Bouquins de Robert Laffont, grâce à un coffret OEuvres complètes qui regroupe vos sept livres en deux tomes. Est-ce à dire que vous n'écrirez plus de romans ?

R: Peut-être. Je ne sais pas. En fait, pourquoi en écrirais-je un autre ?

(rires) Parce que dans l'entrée qui vous concerne sur... hum, Wikipédia, il est fait mention d'un livre qui sortirait l'an prochain.

Je sais. Mais c'est faux, une blague.

Sérieusement, votre dernier roman, Suite (s) impériale (s), date de 2010 et semble boucler la boucle avec votre premier livre, Moins que zéro : 25 ans séparent la publication des deux livres et 25 ans se sont aussi écoulés pour Clay, que l'on retrouve, qui vit à présent à Los Angeles et est devenu scénariste.

Ce livre-là est arrivé à l'improviste. Je pensais vraiment, en revenant m'installer ici, me consacrer au cinéma. C'est ce que je voulais originellement faire dans la vie. Et puis, je me suis passionné pour les livres. La littérature a toujours eu beaucoup d'importance pour moi et j'aimais l'idée de travailler en solo. Mais dans mon esprit, Luna Park était mon dernier roman. Et puis, j'ai travaillé pendant cinq ans sur un film qui ne s'est finalement jamais fait [note : en réaction, il a écrit et coproduit The Canyons, hors du système, mais l'aventure n'a pas été concluante]. Suite (s) impériale (s) a été ma manière d'exorciser cette expérience. Il y a là tout ce que j'ai ressenti pendant cette période. En dehors de l'aspect criminel, c'est très autobiographique, ça donne un aperçu de la pire version de moi-même. Je ne voulais même pas le publier. Mais mon agent m'a convaincu que ça pouvait me rapporter de l'argent alors, pourquoi pas...

Vous avez connu un succès immédiat et provoqué la controverse avec Moins que zéro, alors que vous n'aviez que 21 ans. Même phénomène avec Les lois de l'attraction. Puis, il y a eu American Psycho. Votre renommée en tant qu'homme de lettres et l'aura de scandale vous entourant en tant que personnalité ont explosé. Se retrouver ainsi sous les projecteurs à un si jeune âge, est-ce selon vous une bénédiction ou une malédiction ?

Au départ, vous voyez cela comme une bénédiction, bien sûr ! Vous voyez votre nom dans les journaux, vous êtes photographié, on parle de vous... et vous vendez des livres, beaucoup de livres ! Mais comme le veut la célèbre citation : « La première année de célébrité est fantastique. Après, vous passez le reste de votre vie à tenter de ne pas être humilié. » Et c'est vrai. Au début, votre relation avec les lecteurs est formidable, ils vous aiment même si vous n'avez pas de bonnes critiques. Ils vous voient comme une personne intéressante, hé !, vous avez écrit CE livre et vous êtes SI jeune ! Et après, ils espèrent une histoire différente. Le deuxième livre est publié et ils veulent vous rabaisser un peu. Mais ça va, ça ne me dérange pas. J'ai grandi à Los Angeles, je sais comment fonctionnent ces choses. Il vous faut juste un peu de temps pour comprendre que vous êtes une création des médias et vous ajuster à l'image que les gens ont de vous... et qui est une vision simpliste. J'ai été vu comme super riche, drogué et plutôt idiot. Je n'ai jamais été super riche, accro aux drogues et certainement pas idiot.

Cette vision que les gens ont eue de vous a été alimentée par American Psycho. Quand vous l'avez écrit, saviez-vous que Patrick Bateman serait le frère de Sean, l'un des narrateurs des Lois de l'attraction ?

Pas vraiment. J'ai terminé l'écriture des Lois de l'attraction en décembre 1986 et je pensais déjà à American Psycho, que j'ai commencé à écrire tout de suite après. C'était en fait un roman très différent de ce qu'il est devenu, l'histoire très sérieuse d'un type triste travaillant sur Wall Street. Et là, va savoir pourquoi, c'est devenu quelque chose d'hallucinatoire, expérimental, pornographique et violent. Voyant cela, je réfléchissais à propos de ce personnage et il m'est apparu très clairement qu'il était le frère de Sean.

American Psycho a été publié en 1991. Il est depuis devenu culte, mais, sur le coup, il a créé la controverse, vous avez reçu des lettres de menaces, été accusé de misogynie, etc. Pensez-vous que la situation serait la même si le roman sortait aujourd'hui ?

Rien, aujourd'hui, ne peut causer ce genre de scandale. Nous sommes immunisés contre ça, ce monde n'existe plus. Et si jamais ça se produisait, tout bouge tellement rapidement que ça disparaîtrait très vite. Mais, bon, ça reste la chose qui me définit pour bien des gens, la chose la plus connue que j'aie écrite... et que j'écrirais jamais.

Donc, pas d'autre roman en vue ?

J'ai un début et une fin d'histoire. Mais pas de milieu. Peut-être que ça peut être ça, un livre. Je ne sais pas. Si jamais je l'écris, disons qu'il y sera question de moi, mais de moi plus jeune encore que les personnages de Less Than Zero. Adolescent. À l'école secondaire. En 1980. Oui, ce sera peut-être ça...

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OEuvres complètes, Bret Easton Ellis, Préface de Cécile Guilbert

Éditions Robert Laffont, 1er tome : 1041 pages, 2e tome : 1111 pages

Image fournie par les éditions Robert Laffont

Œuvres complètes de Bret Easton Ellis