La jeune romancière mexicaine Valeria Luiselli était de passage à Montréal lors du festival Metropolis bleu récemment. Elle nous a parlé de son premier roman et de son pays dont elle se sent très proche, même si elle n'y vit pas.

La distance a de l'importance pour les écrivains. Elle donne une licence poétique et philosophique. Valeria Luiselli a commencé à écrire, «sérieusement» souligne-t-elle, loin de son pays natal, le Mexique.

«Je vivais à Madrid et j'écrivais des essais et des histoires sur la ville de Mexico. Ce n'était pas ma ville ni ma langue puisque je parlais surtout anglais à l'époque, mais ce l'était, dans le fond. Je voulais me les approprier. C'est l'obsession de ma vie jusqu'ici, un peu comme le titre du film de Wim Wenders Si loin, si près

Elle dit être devenue hispanophone et mexicaine en ne vivant pas au Mexique.

«J'ai décidé que j'allais écrire quand j'ai compris que la littérature était la chose la plus importante dans la vie pour moi. J'étais en internat dans une école en Inde et je me suis fait beaucoup d'amis, qui le sont restés, dans la communauté latino-américaine. C'est comme ça que je suis devenue hispanophone.»

Grande voyageuse - États-Unis, Corée du Sud, Afrique du Sud, entre autres -, Valeria Luiselli vit à New York. À l'origine de cette bougeotte, ses parents ont travaillé dans des ONG, puis sont devenus diplomates.

«Je retrouvais chez mes parents le récit d'un Mexique paradisiaque. Quand nous étions en Afrique, par exemple, mon père a réalisé un deuxième doctorat sur la transformation urbaine du Mexico colonial jusqu'à aujourd'hui. Avec l'idée de refaire la ville. Il est économiste et urbaniste, mais surtout un grand idéaliste. C'est la ville que je me suis imaginée.»



Premier roman

Des êtres sans gravité est son premier roman, paru en 2013 chez Actes Sud. Le deuxième, La historia de mis dientes (L'histoire de mes dents), est en traduction et sera publié aux Éditions de l'Olivier. Elle a aussi publié un recueil d'essais sur le Mexique.

Valeria Luiselli écrit en apesanteur. Son roman est léger mais profond en même temps, à la fois drôle et sérieux. C'est un livre réaliste où l'imaginaire s'envole à partir de situations quotidiennes, mais qui ne s'inscrit pas dans le réalisme magique latino-américain.

«Je crois que mon livre possède une certaine fantasmagorie de la poésie moderne et des maîtres comme T.S. Eliot et Ezra Pound. Le livre qui m'a beaucoup aidée à résoudre le problème de structure de ma propre écriture est Pedro Páramo de Juan Rulfo [écrivain, scénariste et photographe mexicain]. Il ne s'agit pas de réalisme magique. Pour moi, c'est simplement du réalisme.»

Le roman trace un parallèle original entre la vie de jeunesse de la narratrice à New York, comme éditrice, et celle de Gilberto Owen, poète et diplomate mexicain qui côtoyait Garcia Lorca dans les années 20 dans la même ville.

«Je ne sais pas si c'est Owen que je fais parler dans ce livre. C'est probablement plus la solitude de la narratrice qui parle. En même temps, le livre ne défie pas tant que ça les lois de la gravité pour reprendre le titre. Mais c'est vrai qu'il évoque la conscience de la narratrice plus que de décrire la réalité avec un début et une fin.»

Style et lisibilité

L'écriture de ce premier roman aura nécessité cinq ans, notamment parce que le style et la structure du récit sont complexes, mais d'un rythme parfaitement maîtrisé.

«S'il y a quelque chose qui me rend obsessive dans l'écriture, c'est le rythme. J'aime travailler avec le langage. Pas dans une volonté poétique ou lyrique, mais en cherchant constamment le rythme et l'équilibre.»

La romancière sait aussi entrer facilement dans la tête des personnages. Et même si les voix semblent fusionner, elles possèdent leurs caractéristiques propres. Le tout restant toujours fort lisible.

«C'était un des buts de rendre lisibles, compréhensibles les poèmes modernistes qui m'ont tant marquée: Owen, Pound... C'est à la base de mon imaginaire littéraire. Et je sais que je continuerai de les étudier et de les utiliser.» - Valeria Luiselli

Comme elle continuera de parcourir le monde. Comme le Mexique continuera de l'inspirer, sans doute, aussi. Même si la corruption et la violence dans son pays d'origine n'ont plus rien de drôle.

«Il y a une combinaison presque explosive au Mexique. L'humour mexicain n'est pas caustique, il permet de s'évader, mais empêche un réel engagement, de réelles actions. D'autre part, les Mexicains sont totalement immunisés contre la rectitude politique et, du fait même, contre l'engagement. Malheureusement, c'est ainsi que commence la discrimination, le manque de respect et la violence. Je ne dis pas que la rectitude politique est souhaitable, mais que le Mexique actuel se trouve dans un cul-de-sac et est assis sur une bombe à retardement.»

Des êtres sans gravité, Valeria Luiselli, Traduit par Claude Bleton, Actes Sud, 185 pages

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