La fin de semaine prochaine, beaucoup d'amateurs de polars se retrouveront dans le décor enchanteur de Knowlton à l'occasion des cinquièmes Printemps meurtriers. Nous avons réuni quatre auteurs qui participeront à cet événement consacré au roman policier, histoire d'explorer avec eux les dessous de ce genre littéraire toujours aussi populaire.

PLONGER

Est-ce qu'il faut voir la vie plus en noir pour écrire des polars?

Hervé Gagnon: Oui. Bien sûr, il faut savoir rire et s'amuser. Mais on n'a pas le choix de vivre avec le côté le plus sombre de la nature humaine.

Jacques Saussey: On est plus sensibles à certaines choses, et c'est ce qu'on a besoin de faire sortir de nous. Mais moi, une fois que c'est sorti, je suis quand même bien.

Hervé: Je me suis quand même mis dans la peau de Jack l'Éventreur, je ne peux pas dire que c'était un séjour agréable...

Maureen Martineau: C'est de la curiosité. Moi, dans une autre vie, j'aurais été le genre de femme à correspondre avec un prisonnier et à me marier avec.

Martin Michaud: Il y a Charles Manson qui, apparemment, cherche encore quelqu'un! Il a 81 ans!

Maureen: Ça ne m'intéresse pas nécessairement les psychopathes. Je préfère essayer de comprendre pourquoi les gens normaux passent du côté du crime, ça m'a toujours fascinée. Les premiers personnages qui me viennent, ce sont les criminels. C'est un prétexte pour entrer dans histoire.

Martin: On vit dans un monde violent, on le voit chaque jour. Probablement que j'ai une espèce de sensibilité aiguë qui fait en sorte que derrière l'événement violent, le côté humain va m'interpeller. Ceux dont la vie a basculé en un instant. À partir de là, j'essaie de comprendre ce qui peut faire que quelqu'un passe de l'autre côté. Et quand tu fais ça, tu mets le doigt dans un engrenage...

Hervé: On exprime fondamentalement notre vision du monde en écrivant. Moi par exemple, c'est par rapport à ma lecture du monde politique. Toi, Martin, quand tu écoutes les nouvelles, tu es sensible à la violence, moi je décortique les interventions des politiciens.

Vous vous donnez des règles?

Martin: Tu finis par développer ton propre code de conduite. Une ligne imaginaire que tu traces toi-même et sur laquelle tu marches en équilibre. Il y a des choses que je ne suis pas à l'aise de mettre en scène, alors que pour autre chose je peux aller dans l'ultra violence sans problème. Tout ce qui touche aux enfants, je ne veux pas le montrer. Je peux le mentionner, mais je ne le montre pas.

Hervé: J'ai écrit une scène comme ça il y a longtemps, dans le premier tome de Damné, et j'en suis sorti traumatisé. Je ne pouvais pas croire que ça sortait de moi. On a tous un moment d'angoisse existentielle où on se demande si on est un psychopathe qui s'ignore... Et quand est arrivé le potentiel d'en écrire une nouvelle pour un autre livre, j'ai contourné l'affaire. Je savais que j'étais allé trop loin.

Martin: L'idée est de toujours essayer de servir l'intrigue, de donner ce qui est justifié.

Jacques: Dans Le loup peint, mes personnages sont presque tous extrêmes. La criminelle joue sur le sexe de manière extrême, les flics sont extrêmement bêtes, le capitaine est extrêmement obsédé sexuel, le vétérinaire est extrêmement pas très malin. Alors dans ce sens, les scènes très violentes fonctionnaient.

STRUCTURER

Hervé (à Martin): Tu fais un plan toi?

Martin: Beaucoup moins qu'avant.

Hervé: Moi non. Je plonge dans le vide. C'est comme un acte de foi.

Jacques: Depuis que je suis venu aux Printemps meurtriers, en 2013, j'ai changé.

Maureen: Parce qu'on t'a chicané!

Jacques: Deux auteurs qui étaient là et que j'adore, R. J. Ellory et Karine Giébel, qui construisent des romans ahurissants de force, nous ont expliqué qu'ils travaillaient sans plan. Et moi les plans, ça me prend la tête. Je ne peux pas me projeter dans tout le livre...

Hervé: C'est un mois de ta vie que tu ne reverras jamais. Au deuxième chapitre, tu as une autre idée et tu es rendu ailleurs de toute façon.

Jacques: On doit avoir la possibilité d'être intercepté par autre chose en cours d'écriture, bifurquer. Alors j'ai réduit le plan pour garder les petits noeuds de l'histoire. Je me suis rendu compte que cette méthode fonctionnait bien pour moi.

Maureen: Moi le plan, c'est la partie que j'aime presque le plus, après la recherche qui dure au moins trois ou quatre mois. Ce n'est pas juste l'intrigue, c'est aussi de quelle façon cette fois-là tu vas construire ton récit, de quel point de vue tu vas le raconter. Et si, rendue au 10e chapitre, je dois tout le refaire, ça ne me dérange pas. C'est comme un jeu de blocs.

Vous savez toujours comment ça va finir?

Martin: Toujours.

Maureen: Pas nécessairement.

Jacques: Pas toujours.

Hervé: On espère savoir. Mais en cours de route, des fois, tu te rends compte, ah ce serait bien meilleur! Et à partir du moment où c'est meilleur, tu abandonnes le pas bon.

Jacques: On va peut-être se rendre à l'endroit qu'on avait prévu, mais ça ne veut pas dire qu'on y arrive de la même manière.

Hervé: Les 100 dernières pages, je sais où je vais. Avant ça, j'espère savoir où je vais.

Maureen: C'est comme ceux qui font le tour des États-Unis en caravane en sachant d'avance ce qu'ils vont faire chaque jour. Mais tu l'as tout vu sur Google ton voyage avant de partir, c'est pas intéressant ! Il y a une certaine direction que tu donnes quand tu pars en voyage, mais il faut s'ouvrir aussi à l'imprévu.

Qu'est-ce qui est le plus intéressant: le dénouement ou ce qui mène au dénouement?

Maureen: L'important est d'avoir du plaisir en chemin. Si tu penses juste au dénouement et que le reste est simplement une façon d'y arriver, ça risque de paraître.

Hervé: Il faut quand même un feu d'artifice à la fin. On ne court pas après, mais quand il se présente...

Martin: Il faut qu'à chaque page, à chaque ligne, ton objectif soit de faire avancer l'intrigue, de déployer ton histoire. D'ailleurs, le feu d'artifice est un bon exemple, parce qu'il y a un gros travail de chorégraphie derrière. Si tu fais sauter tous tes gros pétards au début, le public fera ouin, il s'en vient quoi après? Il faut doser.

ÉCRIRE

Le goût d'écrire sur des enquêtes, des meurtres, il vient comment?

Martin: Ce sont toutes des histoires vécues!

Jacques: On compare les méthodes françaises et québécoises, on se donne des tuyaux...

Martin: Ça participe de ce que tu as envie de raconter, à ta vision du monde, ton style. Le rythme d'un roman policier est différent des autres types de romans. Moi c'est ce qui me fascine et m'accroche.

Hervé: L'expression littérature de genre, pour moi, c'est comme du papier sablé sur une vitre. Y a-t-il une littérature qui n'est pas de genre? Il n'y a que nous qui devons en porter les stigmates.

Martin: C'est très francophone comme distinction, car du côté anglo-saxon, ceux qui sont considérés comme des grands écrivains écrivent souvent ce qu'on considère ici comme de la littérature de genre.

Jacques: Nous sommes seulement des entités qui créent des personnages. Si j'ai un projet de roman d'amour, je ne vais pas devenir d'un seul coup auteur de romans d'amour!

Martin: C'est l'histoire que tu portes qui décide du genre que tu utilises.

Hervé: Et c'est souvent quand on la termine qu'on constate ce que c'était.

Maureen: On écrit ce qu'on aime aussi. On est attiré par un genre de littérature, ce qu'on lit, ce à quoi on s'identifie.

Les lecteurs de polars aiment que les histoires soient crédibles. Écrire vous demande beaucoup de recherche?

Jacques: Comme Maureen, je fais au moins trois mois de recherche. On doit savoir de quoi on parle au minimum. Si je m'attaquais à un livre historique, j'aurais du travail!

Hervé: Je n'ai plus beaucoup de mérite, j'ai fait mon doctorat en histoire sur Montréal au XIXe siècle. Mais je dois souvent chercher des détails: je peux passer une demi-journée avant de trouver le bon type de botte.

Maureen: Je ne connaissais rien aux affaires d'ADN et tout ça. Quelqu'un m'a dit d'écouter CSI, mais après j'ai réalisé que ça ne me renseignait pas si bien. J'ai lu des rapports d'enquête de l'école de police de Nicolet qui disent que seulement 10% des résolutions de crimes tiennent à l'expertise scientifique. Le reste, c'est beaucoup des associations grâce aux témoignages, à la perspicacité de l'enquêteur, la façon de faire un plus un...

Martin: Des fois, par ailleurs, ça devient complexe, et le danger est d'essayer d'être trop réaliste et d'alourdir l'intrigue.

Maureen: Le lecteur ne veut pas faire la job du policier en te lisant. Les enquêteurs vont tous te dire que leur job est plate... Alors oui, on doit être vraisemblables, mais pas réalistes à ce point, sinon on va vraiment emmerder le lecteur.

LIRE

Êtes-vous des lecteurs de polars?

Jacques: Oui. Je lis beaucoup Martin Michaud... Je n'ai pas lu Hervé ni Maureen, mais je profite des Printemps meurtriers pour ramener des livres d'auteurs québécois que je connais.

Martin: Moi oui. Il faut avoir lu beaucoup, que tu aies ouvert le capot pour jouer dans le moteur un peu et essayer de comprendre ce que les autres font. Après, tu dois tout oublier. C'est ironique!

Hervé: C'est ça le problème, le piège de la copie inconsciente. Quand tu es écrivain, tu as cette condamnation de la lecture technique, comme un ingénieur qui regarde en dessous du pont pour voir comment ça tient. C'est pour ça que je ne veux plus en lire, car je perds le plaisir.

Maureen: On essaie toujours d'innover. Mais en en lisant beaucoup, on se positionne, on délimite notre territoire. Tu veux trouver ta voix, ton truc à toi. Après par contre, tu dois rester dans ton chemin.

Hervé: Il ne faut pas tomber dans le calcul. C'est tellement tentant des fois. Moi. j'ai ma niche, et c'est pas mal plus confortable qu'imiter quelqu'un d'autre.

Martin: Il n'y a pas de recette... Si elle existait, on le saurait et on la suivrait. Chaque fois que je commence un roman, c'est l'éternel découragement de devoir gravir la montagne.

Hervé: Est-ce que je vais arriver en haut...

Maureen: Vous aussi, vous voyez ça comme une montagne? Moi, écrire la première version, c'est la monter, et toutes les corrections après, c'est la redescendre.

Comment on écrit un bon polar?

Jacques: Il ne faut jamais abandonner.

Martin: Moi je crois à trois clés: abnégation, persévérance et café. C'est la seule façon.

Jacques: Il ne jamais lâcher l'affaire. J'ai eu la chance de rencontrer Maxim Chatham au Salon du livre de Québec l'an dernier. Il m'a raconté que pour un roman précédent qu'il trouvait «pas mal» après avoir fini de l'écrire, il s'est dit: «Mon bouquin, il est pourri, je refais tout.» Il a tout mis à la poubelle et a repris avec la même histoire. À ce moment-là, je travaillais sur un livre et je me disais que ça ne collait pas. Je me suis dit: si Maxim Chatham a réussi à supprimer 300 pages, je peux bien en virer 30! Mais ça fait mal, quand même...

Comment va le polar québécois?

Hervé: Le polar québécois est en santé, très en santé. Ça commence à être reconnu. Le seul bémol, si je peux me permettre, c'est qu'il y a peut-être une surabondance de titres, parce que ça marche et que tout le monde veut en faire. Ce n'est pas toujours sain.

Martin: Une chose est claire, entre le moment où j'ai commencé en 2010 et maintenant, il y a eu une grosse marche de montée. Non seulement il y en a davantage, mais en plus, de qualité.

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