Le Salon du livre de Québec, qui s'est terminé hier, est en quelque sorte la dernière étape de l'année littéraire. Nous sommes allés y passer 24 heures, de vendredi à samedi après-midi. Compte rendu.

Un prix émouvant

Plusieurs prix littéraires sont remis pendant le Salon, dont le Prix des collégiens, qui a été décerné vendredi après-midi à Daniel Grenier pour son roman L'année la plus longue. Des représentants de chacun des 58 collèges impliqués étaient sur scène pour lui remettre cet honneur très spécial aux yeux des auteurs, puisqu'il est le choix de centaines de lecteurs, et non d'un jury. «Quand je rêvais d'être auteur et que j'avais votre âge, leur a dit un Daniel Grenier très ému, c'est à ça que je rêvais, à cette conversation entre mes livres et les lecteurs.» Les 58 jeunes avaient débattu la veille pendant plusieurs heures pour déterminer un gagnant entre les cinq finalistes. Rencontré tout de suite après la cérémonie, Daniel Grenier, dont c'est le premier roman, était encore très remué. «À ceux qui disent que les jeunes ne lisent plus, je répondrai que non seulement ils lisent, mais qu'ils comprennent ce qu'ils lisent et savent en parler avec éloquence.»

Salon bondé

Près de 16 000 enfants ont participé aux journées scolaires mercredi, jeudi et vendredi - le Salon de Québec est l'un des seuls cette année à ne pas avoir subi les contrecoups des moyens de pression des profs. «Et on a dû refuser des demandes de groupes», dit le PDG du Salon du livre, Philippe Sauvageau. Sous la direction de cet ancien grand patron de la BAnQ, l'événement a beaucoup grandi depuis 18 ans, passant de 32 000 visiteurs au début des années 2000 à 65 000 l'an dernier - chiffre visé cette année aussi. Malgré la forte densité notée vendredi et samedi, qui nous faisait nous sentir un peu à l'étroit dans le très bel espace du Centre des congrès, pas question de déménager ou d'agrandir. «Par exemple, on pourrait décider de prendre aussi l'étage du dessous, dit Philippe Sauvageau. Mais je ne veux pas. Je pense qu'en termes de fluidité de circulation et d'organisation, ce ne serait pas efficace. Et on veut garder le côté convivial et chaleureux qui nous caractérise.»

Auteurs québécois

Sur les 1310 auteurs invités cette année, 90 % sont Québécois. Ont entre autres participé depuis mercredi Kim Thúy, Marie Laberge, Fanny Britt, Biz, Monique Proulx, Dany Laferrière, Larry Tremblay, Nicolas Dickner... La plupart d'entre eux participent aussi à des tables rondes et des discussions sur les différentes scènes. «C'est en écoutant les auteurs parler que les visiteurs ont envie de les découvrir», affirme Philippe Sauvageau, qui a fait le pari de nommer des présidents d'honneur très connus au cours des dernières années, tels Marc Lévy et Bernard Pivot, dans le but avoué d'attirer le public. «S'il y a du monde dans le Salon, c'est plus facile ensuite de vendre des livres!» De plus, ajoute-t-il, la presque totalité des animations mettent en vedette des auteurs québécois, et elles sont toutes élaborées par l'organisation du Salon. «C'est important d'avoir une cohérence et une orientation», dit-il. De «Soldats de la plume», avec Alain Denault et Aurélie Lanctôt, à «Polars et territoires», avec Patrick Senécal et André Marois, les événements, diversifiés, piquent la curiosité. Et les auditeurs sont au rendez-vous.

Rencontre au sommet

Vendredi 15h30: plus de 200 personnes attendent pour assister à la discussion amicale entre Dany Laferrière et le président d'honneur du Salon, Alain Mabanckou. «Je ne m'attendais pas à autant de monde... C'est le triomphe de la littérature sur le travail!», s'est exclamé Dany Laferrière, enrhumé mais enjoué. Les deux vieux amis ont parlé du plaisir de manger des mangues et des avocats, raconté l'histoire d'un boa qui dévore une chèvre et se sont mutuellement rendu hommage. Mais ce n'était pas la seule activité du président d'honneur, puisqu'Alain Mabanckou, qui joue son rôle avec flegme et générosité, participe à un grand nombre d'activités et draine sur son passage une foule de lecteurs sous le charme. «Je ne suis pas là pour ma gloire personnelle, mais pour faire se rencontrer la littérature et les lecteurs», nous dit l'auteur de Petit piment entre deux événements. S'il apprécie la richesse de sa rencontre avec le public québécois, il ne se prend surtout pas au sérieux. «C'est normal que le président soit le plus occupé. Si un boulon tombe, il faut qu'on dise: "Mais il est où, le président, pour venir arranger ça!"»

Place à la jeunesse

Des dizaines de tout-petits sont installés devant la scène de l'Espace jeunesse en ce beau samedi matin pour entendre la Diva Malbouffa, alias Natalie Choquette, faire chanter de l'opéra à une pieuvre ou raconter une histoire avec toutes sortes de drôles d'accents. Toute la journée, les animations pour les enfants se sont succédé, du spectacle de Geronimo Stilton au Super quiz Délirons, mené par la sympathique créatrice de Léon, Annie Groovie. Les auteurs préférés des enfants étaient pratiquement tous au rendez-vous pour les familles qui affluaient, de Marie-Louise Gay (Stella et Sacha) à Sampar (Guiby), Alain M. Bergeron (Capitaine Static), Rose-Line Brasset (Juliette) et Daniel Brouillette (Bine), en passant par Alex A, qui, comme plusieurs de ses collègues, avait aussi été présent pendant les journées scolaires. Et la popularité de l'auteur de L'agent Jean ne se dément pas, si l'on peut en juger par la longueur des files d'attente chaque fois qu'on est passé devant.

Bédé pour tous

Dans un petit espace, le dessinateur de la BD culte Corto Maltese, Ruben Pellejero, est en train de dessiner son héros. Une caméra installée au-dessus de lui permet d'observer sur un écran chacun des traits qu'il dessine, et le public suit son travail, attentif. Après 30 minutes, quand le dessinateur lève la tête, il a droit à de chaleureux applaudissements. Ce coin atelier est une des belles initiatives du Festival de la BD francophone de Québec, qui occupe un coin fort fréquenté du Salon. «L'objectif était d'augmenter la présence de la BD au Salon. Et pour nous, ça attire vraiment des lecteurs qui ne seraient pas venus à la BD autrement», dit Thomas-Louis Côté, DG de ce festival qui présente environ 140 activités en cinq jours, dont une centaine ont lieu au Centre des congrès. Une centaine de bédéistes étaient invités cette année, et seulement samedi matin, nous avons pu apercevoir en séance de dédicaces Jean-Paul Eid, Zviane, Delaf et Dubuc, Julie Rocheleau, Bach, Romain Renard et le dessinateur de Boule et Bill Laurent Verron.

Libraires d'un jour

Chrystine Brouillet debout, appuyée sur une table, qui fait ses recommandations littéraires à des lecteurs ravis de tant de proximité. Après les salons de Montréal et de l'Outaouais, c'est la troisième fois que l'Association des libraires du Québec propose ces charmantes «prescriptions littéraires», où des auteurs et des personnalités publiques jouent au libraire d'un jour. Kim Thúy, Caroline Allard, Gérald Fillion, Monique Proulx, Louise Portal tous sont arrivés avec leur liste de suggestions pour cette activité dont l'objectif est de démystifier le métier de libraire. Ainsi, après consultation, le lecteur repart avec une véritable ordonnance qui devrait correspondre à ce qu'il cherche. «J'adore faire ça, car le rapport est très différent de la séance de dédicaces, confie Chrystine Brouillet en nous prescrivant gentiment un roman. La créatrice de Maud Graham a choisi pour l'occasion plusieurs livres québécois et récents, ainsi que des albums jeunesse. «C'est beaucoup plus agréable de vanter les livres des autres que ses propres livres!»

Rencontres inoubliables

Samedi après-midi, les files s'allongeaient un peu partout aux stands des grandes vedettes, les Marc Lévy, Marie Laberge, Janette Bertrand, Ricardo Larrivée, Patrick Senécal... Les salons du livre restent pour beaucoup de lecteurs des lieux de rencontre privilégiés. «Ce que j'aime du rapport ici, c'est que l'auteur n'est pas considéré comme une présence mythique, nous dit le Belge Armel Job, qui en est à sa troisième visite à Québec. Le lecteur qui vient, il a envie de parler cinq, dix minutes. C'est très chaleureux.» Même si le stand de sa maison d'édition est plutôt retiré, Anaïs Barbeau-Lavalette achevait une autre séance de dédicaces très chargée, samedi en milieu d'après-midi. «Quand j'ai écrit ce livre, je me disais que ça n'allait intéresser que moi, dit l'auteure de La femme qui fuit. Mais ce n'est pas le cas, et j'en suis surprise chaque fois! Les salons, c'est vraiment spécial, et même s'il y a beaucoup de monde, ce sont de vraies rencontres. Chaque fois, je repars avec des souvenirs qui laissent des empreintes en moi.»