Pierre Simenon, fils cadet de Georges Simenon, vient de publier De père à père, récit où il revisite et questionne tant ses relations avec son paternel que son propre rôle de père, ce qui, insiste-t-il, constitue son principal métier. Oeuvre sans filtre et sans filet, l'ouvrage est plus introspectif que biographique. À l'occasion du passage de M. Simenon au festival littéraire Metropolis Bleu, La Presse s'est entretenue avec lui.

Question: Quel était le but derrière ce livre: biographique, historique, thérapeutique?

Réponse: L'écriture est au départ un besoin et non un but. Cela dit, tout acte de s'exprimer est thérapeutique. Ça l'est particulièrement plus lorsque, tout à coup, ressurgissent des souvenirs d'enfance ou d'adolescence. Le fait de me replonger dans ce passé m'a permis de faire revenir des émotions enfouies trop longtemps et de faire un peu la paix avec celui-ci. Mon but n'était pas de faire une biographie, mais de parler des événements et des personnes qui ont fait ce que je suis, dont mon père qui a compté énormément, car il m'a élevé seul à partir de l'âge de 6 ans.

Question: Quels traits de Georges Simenon se transposent dans votre propre rôle de père?

Réponse: Il y en a plusieurs. Si je devais en choisir deux que je trouve très importants, ce sont la volonté et l'effort d'être le plus disponible et, deuxièmement, de pouvoir se mettre au niveau de nos enfants. Je ne dis pas cela dans le sens de se rabaisser, mais de se rappeler que l'on a, plus souvent que l'on s'en souvienne, agi de la même manière que nos enfants.

Question: À la lecture de votre livre, on a l'impression que vous ne semblez pas avoir été écrasé par la renommée de votre père. Êtes-vous d'accord?

Réponse: Dans l'ensemble, oui. Avec ses défauts et ses qualités, mon père a été extraordinaire. Étant avant tout mon papa, sa renommée faisait simplement partie de son métier. De plus, nous vivions en Suisse, un pays très discret. Les gens laissaient en paix les personnes connues. Mon père m'a aussi averti qu'il ne serait pas toujours là et que je devais faire des études pour mettre toutes les chances de mon côté, rien n'étant garanti dans la vie. Enfin, il ne parlait pas continuellement de son oeuvre.

Question: Votre perception de votre père a-t-elle changé à la fin de l'écriture?

Réponse: Non. Par contre, et je m'y attendais, le dialogue ne s'est pas interrompu. Lorsque je dis dialogue, c'est que dans ma tête, je continue à évoquer son souvenir et à lui poser des questions. Ce travail [d'écriture] ne m'a pas donné une vision différente de mon père et de ma famille. Mais quelque part, il m'a aidé à apaiser mes souvenirs et à clarifier mes relations avec eux.

Question: Votre mère Denyse Ouimet est née à Ottawa et est francophone. Quelle place a donc le Québec dans votre parcours?

Réponse: Une tante m'a dit qu'un de mes arrière-grands-oncles [Gédéon Ouimet] avait été premier ministre du Québec. Mon oncle Marcel était directeur des programmes francophones à Radio-Canada et a fait le débarquement de Normandie à titre de correspondant de guerre. J'ai un autre oncle [Roger Ouimet] qui fut juge au procès des assassins de Pierre Laporte [le fameux procès des cinq]. En grandissant en Suisse, j'ai toujours eu le désir fou de l'Amérique. Un désir venant du côté de mon père, car il a vécu 10 ans en Amérique. Et du côté de ma mère parce que ma grand-maman canadienne envoyait du sirop d'érable pour Noël et pour Pâques. J'ai grandi en mangeant des crêpes avec du sirop d'érable alors que c'était exotique pour l'époque!

Question: Parlant des 10 années passées par votre père en Amérique, certains historiens les lient à des raisons peu glorieuses [des soupçons de collaboration]. Pourquoi ne pas en avoir parlé?

Réponse: Je n'étais pas né à l'époque. Ça ne faisait aucun sens dans le contexte d'un dialogue avec mon père alors que ce n'est pas quelque chose que nous avons vécu ensemble. Ces questions ont été traitées par une foule de biographes, dont Pierre Assouline, qui a dû reconnaître que mon père n'a jamais collaboré ni eu de sympathie avec les occupants. Le comité d'épuration a fait enquête sur lui et il a été débouté, car il a été prouvé que c'était sans cause ni raison. Cela dit, je vous mets au défi de trouver une seule page où il fait l'apologie de l'occupant ou du régime nazi, de la théorie nazie, etc.

Question: Quel ouvrage de Georges Simenon s'approche-t-il le plus du père que vous décrivez?

Réponse: Le fils! C'est un livre merveilleux portant sur trois générations. C'est l'histoire d'un père qui a un fils adolescent et qui vient d'enterrer son propre père à lui. Il a été écrit alors que mon frère Marc avait 16 ans. On voit très bien que la relation père-fils décrite est celle de mon père avec mon frère. Et il y a beaucoup de choses que le personnage principal dit à son fils que j'ai entendues, en grandissant, de la bouche de mon père.

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Pierre Simenon participera à de nombreuses activités pendant Metropolis bleu, dont une rencontre avec Sophie Faucher à la librairie Olivieri le 15 avril, et un petit déjeuner à l'hôtel 10 le 16 avril.

De père à père. Pierre Simenon. Flammarion, 329 pages.

PHOTO FOURNIE PAR FLAMMARION

De père à père, de Pierre Simenon