On célèbre aujourd'hui la Journée mondiale de la poésie. Nous avons rencontré cinq poètes (Nora Atalla, Rodney Saint-Éloi, Laure Morali, Mattia Scarpulla et Stéphane Martelly) dont certains participent au Mois de la poésie à Québec, qui se déroule jusqu'à la fin du mois. Ils sont nés ailleurs, mais portent tous fièrement la bannière de la nouvelle poésie québécoise sur la planète.

Nora Atalla: franco-égyptienne

Née au Caire, en Égypte

Vit à Québec

Son dernier recueil: Les ouragans intérieurs (2014, Écrits des Forges).

«Ma mère est gréco-libanaise, née au Caire; mon père était franco-libano-géorgien, né également au Caire. Mes parents faisaient partie des intellectuels francophones de l'Égypte au moment où Nasser prenait le pouvoir. Naître ailleurs, grandir et s'épanouir au Québec font de moi la femme que je suis aujourd'hui. Je suis avant tout québécoise, j'observe le monde avec des yeux et un coeur de Québécoise. Toutefois, ma vision du monde est internationale, parce que j'ai beaucoup voyagé. Tous mes dépaysements inspirent mon écriture.»

Tendresse poétique

«C'est vraiment à 15 ans que s'est produit le grand amour entre l'écriture et moi. La poésie pour le voyage intérieur, la littérature pour l'imaginaire, les deux pour leur pouvoir d'évocation, leur force de frappe et leur capacité à faire évoluer les idées et changer le monde. Je nourris une véritable tendresse pour la poésie. Elle me vient d'une pulsion impossible à freiner.»

Poésie bigarrée

«Nous avons d'excellents poètes au Québec, qui viennent de partout, de tous les horizons. Nos poètes voyagent de façon réelle ou virtuelle et font des rencontres extraordinaires avec des poètes d'origines diverses sur notre sol ou dans d'autres pays. C'est ce qui permet d'avoir une poésie québécoise reflétant nos réalités bigarrées, chamarrées.»

Dans la cadre de la Journée mondiale de la poésie, Nora Atalla animera aujourd'hui une Nuit de la poésie mettant en vedette une trentaine de poètes au Studio P à Québec dès 20 h. Elle sera aussi du spectacle Hommes de sable vendredi soir au même endroit dans le cadre du Mois des poètes.

Rodney Saint-Éloi: Québec depuis toujours

Née à Cavaillon, en Haïti

Vit à Montréal

Dernier recueil: Je suis la fille du baobab brûlé (Mémoire d'encrier, 2015)

«J'ai appris ce qu'était le Québec à travers sa poésie. En Haïti, j'ai étudié au collège canado-haïtien, donc j'avais commencé à apprendre le joual. Mes grands-parents ont immigré ici, puis je suis venu étudier à l'Université Laval de Québec.»

Nègres d'Amérique

«La matrice de la pensée poétique québécoise est nègre. Les poètes d'ici sont allés vers tout ce qui était révolutionnaire dans les années 60, c'est-à-dire noir. C'est pourquoi les poètes québécois se sont dits nègres blancs d'Amérique. Au même moment, il y avait Duvalier, l'exil et tout un mouvement haïtien littéraire au Québec. Nous étions tous dans la même mouvance, la révolution tranquille ici et la révolution ratée en Haïti.»

Nécessaire poésie

«La poésie touche à la singularité du monde. Elle nous aide à dépasser le réel, mais elle est constamment menacée par la médiocrité et l'imbécillité, par la tendance à enlever le merveilleux et le mystérieux de la vie. L'être humain ne peut vivre sans ça.»

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Laure Morali: terre d'écriture

Née à Lyon, en France

Vit à Montréal

Dernier recueil: Orange sanguine (Mémoire d'encrier, 2014)

«Je suis venue au Québec parce qu'il n'y a pas de formation en création littéraire en France au niveau universitaire. Quand j'ai fait ma maîtrise en création littéraire à l'UQAM, j'étudiais avec les poètes Isabelle Miron, Monique Deland, Christine Richard... qui m'ont fait découvrir la poésie de Denise Désautels, Louise Dupré, Rachelle Leclerc, Catherine Fortin, Marie Uguay, Anne Hébert... Puis je suis partie sur les routes à la rencontre d'autres auteures, comme Rita Mestokosho, Joséphine Bacon... Dès le départ, le Québec est devenu pour moi une terre d'écriture.»

Souffle du monde

«J'ai toujours écrit. De la poésie entre autres, comme toutes les adolescentes, je crois. Écrire permet de faire circuler le souffle du monde dans l'enveloppe des mots et, comme les mots font partie de notre corps, la poésie aide à mieux respirer. L'écriture est le seul pays que je connaisse où il fait bon se sentir étranger.»

Nudité

«Par sa force intérieure, celle des mots habités de souffle, le poème nous maintient debout malgré toutes les déflagrations et les chutes dont il garde trace. Le poème a la nudité comme armure.»

Mattia Scarpulla: l'appel du Nord

Née à Turin, en Italie

Vit à Québec

Dernier recueil: Journal des traces (L'Harmattan, 2011)

Lectures poétiques

«Comme plusieurs jeunes, j'ai beaucoup écrit de la poésie entre l'âge de 16 et 20 ans. J'en avais toujours lu. Je suis un lecteur passionné.» 

L'appel du Nord

«J'ai vécu 12 ans en France avant d'arriver ici. C'est là que j'ai publié mon premier recueil. Élise, ma conjointe, et moi avions envie de partir nous installer dans un autre pays. Nous aimons les pays du Nord. J'ai été retenu pour un stage à l'Université de Montréal en archivistique. Nous sommes arrivés à Montréal en août 2013 et avons beaucoup aimé le Québec, notamment pour le rapport ville/nature.»

Puissance du langage

«Je suis passionné par les langages et leur construction. Pour cette raison, j'ai aussi fréquenté un lycée linguistique et les langages corporels m'intéressent comme ceux écrits. La poésie est ma manière d'explorer la puissance du langage, et donc la communication à travers les mots, mais aussi à travers les autres sens traduits par la parole. Je réécris énormément chaque oeuvre jusqu'à ce que je trouve le juste rythme. La poésie est donc pour moi cette rencontre affective avec le langage, avec les mots, avec les phrases. Il me semble que dans les textes poétiques ou narratifs, la construction d'un rythme provoque toujours un décalage lyrique ou magique.»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Stéphane Martelly: Québec, marge habitable

Née à Port-au-Prince, en Haïti

Vit à Montréal

Dernier recueil: Inventaires (Triptyque, 2016)

«Ma venue au Québec s'est faite très banalement, par désir de trouver des marges habitables. En fait, je suis venue pour apprendre à partir de mon pays natal et pour apprendre à rester dans un autre pays. Je n'ai pas réussi tout à fait ni l'une ni l'autre chose, puisqu'il s'agissait là d'une démarche impossible: on part si peu finalement et les marges ne sont guère habitables, en tout cas pas dans la permanence!»

Exister

«La poésie, pour moi, c'est ma seule manière d'exister et de penser dans le monde.»

Dire autrement

«À savoir si la poésie québécoise représente la diversité de la société, je pense que ce n'est pas le rôle de la poésie de refléter la société. Son rôle, c'est de toujours être une langue étrangère qui donne à entendre les mots comme pour la première fois; une langue qui nous donne l'impression que tout n'est pas dit et qu'il est possible d'articuler les choses autrement.»

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, LA PRESSE