Le milieu littéraire québécois se remet à peine de la tempête causée par la publication d'une biographie sur Claude Jutra qu'il plonge dans un procès qui oppose un auteur et un proche du poète Gaston Miron.

Au coeur de cette affaire se trouve l'ouvrage intitulé Gaston Miron -  La vie d'un homme. Publiée en 2011 aux Éditions du Boréal - la même maison qui a lancé l'ouvrage sur Jutra -, cette biographie de Pierre Nepveu fait l'objet d'une poursuite en diffamation de 500 000 $. Celui qui réclame cette somme est Alain Horic, ancien directeur des Éditions de l'Hexagone, éditeur et ami de Gaston Miron.

Horic poursuit l'auteur Pierre Nepveu et les Éditions du Boréal pour atteinte à sa réputation. Il n'a pas aimé que l'auteur le présente de façon «extrêmement défavorable». La poursuite a été déposée environ un an après la publication de l'ouvrage, soit en 2012, mais il aura fallu attendre quatre ans pour que la cause soit entendue. Le procès doit avoir lieu à la mi-avril à Montréal.

De son côté, dans les documents déposés à la Cour supérieure que La Presse a consultés, Pierre Nepveu prétend qu'il ne s'est pas livré à de la diffamation et que la poursuite d'Alain Horic a pour but de «bâillonner les visions divergentes de la sienne quant à l'histoire» et est, selon lui, «une atteinte à la liberté d'expression».

Selon ces documents, Alain Horic a commencé à travailler aux Éditions de l'Hexagone en 1954. Très tôt, il fait la rencontre de Gaston Miron. Il a été l'un des directeurs de cette maison d'édition jusqu'en 1991. Il a été l'associé de Gaston Miron et l'a accompagné dans plusieurs projets d'écriture, comme en témoignent des correspondances entre lui et l'auteur de L'homme rapaillé que nous avons pu consulter.

Il a publié un ouvrage consacré au poète, Mon parcours d'éditeur avec Gaston Miron, en 2004.

Dans cet ouvrage de 900 pages, plusieurs passages sont consacrés à Alain Horic et aux Éditions de l'Hexagone (on en a identifié une quarantaine). Si la première moitié parle d'Horic dans des termes plutôt flatteurs, d'autres sont plus nuancés. Dans un premier temps, on évoque le dévouement dont Horic a fait preuve à l'égard de Miron.

«Horic est non seulement un administrateur de carrière, mais il dispose de ressources financières très largement supérieures à celles de Miron, grâce à son salaire de cadre et à des investissements judicieux dans le domaine immobilier. Jusqu'au début des années 1980, Miron pourra profiter d'un compte bancaire, à la Caisse populaire Saint-Louis-de-France, alimenté par Horic, sur lequel il pourra effectuer des retraits et tirer des chèques pour ses dépenses courantes [...] Mais la générosité de Horic ne va pas sans une contrepartie, dont la teneur se révélera plus tard», peut-on lire en page 509.

Des divergences exposées

Dans la poursuite, on souligne que, dans l'ouvrage de Nepveu, on fait passer Horic pour quelqu'un qui «faisait preuve de générosité dans le simple but de profiter, abuser et fourber personnellement et professionnellement, feu Gaston Miron».

Dans d'autres passages du livre, il est question, malgré la grande amitié qui unit les deux hommes, de leurs différences dans la façon de gérer la maison d'édition et de cette distance qu'ils prendront de plus en plus l'un par rapport à l'autre au fil du temps. Puis, en page 714, il est question d'une brouille liée à la publication du livre À bout portant que Miron lance en 1989.

«Le plus surpris de tous est Alain Horic qui, écoutant à la fin mai l'émission En toutes lettres à la chaîne culturelle de Radio-Canada, y apprend la parution chez Leméac d'un livre de Gaston Miron, ses lettres à Claude Haeffely, à la rentrée d'automne. Il n'en croit pas ses oreilles, il est furieux! Le plus irritant, c'est de n'avoir rien su de ce qui se tramait, ni de la part de Miron ni de Haeffely, lui-même un poète de l'Hexagone [...] Horic, de son côté, ne décolère pas. Dès le 2 juin, il écrit à Miron qui se trouve alors à Paris : cette publication chez Leméac, c'est "inadmissible", c'est une vraie "honte"».

Joint au téléphone hier, Pascal Assathiany, directeur des Éditions du Boréal, n'en revient toujours pas qu'un procès ait lieu à ce sujet. «C'est un peu surréaliste tout cela, a-t-il dit. Je ne comprends toujours pas l'objet de cette poursuite. Notre équipe a jugé que le travail de l'auteur était bien fait et que rien n'était indélicat.»

Pascal Assiathiany ne cache pas qu'à la suite du scandale créé par la biographie sur Claude Jutra, c'est une période difficile pour les Éditions du Boréal. 

«On se serait bien passés de cela. On dit toujours "jamais deux sans trois". J'espère que ça sera faux dans ce cas-ci.»

Il ne nous a pas été possible de joindre Pierre Nepveu, hier. Ce dernier est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, dont une importante anthologie de la poésie québécoise.

Quant à Alain Horic, il a préféré ne pas commenter cette affaire à quelques semaines du procès. «Vous comprendrez que je dois respecter le sceau de la confidentialité», nous a-t-il dit.

Les éléments que l'auteur Pierre Nepveu a utilisés pour dépeindre Alain Horic sont-ils diffamatoires? À la lumière des termes utilisés, la poursuite instaurée par Alain Horic va-t-elle à l'encontre de la liberté d'expression dont peut jouir un auteur? Un auteur a-t-il le droit de dépeindre une personne encore vivante sous un mauvais jour en s'appuyant sur des faits soi-disant véridiques? Et comment peut-il prouver leur véracité? Voilà les questions auxquelles devra répondre ce procès, l'un des rares à toucher le monde littéraire québécois.

Le procès doit commencer le 11 avril et pourrait durer une douzaine de jours. Outre les 500 000 $ exigés pour dommages moraux et exemplaires, le demandeur réclame que l'on cesse d'imprimer, de distribuer et de vendre ladite biographie.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DU BORÉAL

Gaston Miron - La vie d'un homme