Révélation littéraire l'an dernier pour son roman Meursault contre-enquête, l'écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud est au coeur d'une polémique des deux côtés de la Méditerranée pour avoir dénoncé le «rapport malade à la femme» dans le monde arabo-musulman.

Mercredi, dans le Quotidien d'Oran dont il est le chroniqueur régulier, il affirme vouloir désormais se consacrer à la littérature, et même s'il dit que son abandon du journalisme n'est pas lié à la polémique, le Premier ministre français Manuel Valls a appelé à «ne pas abandonner cet écrivain à son sort».

Après une tribune sur les agressions sexuelles commises dans la nuit du 31 décembre à Cologne, il a été accusé par des intellectuels de faire le jeu des tenants d'un «choc des cultures».

Mais d'autres l'ont soutenu, comme la romancière franco-tunisienne Fawzia Zouari, estimant qu'il a n'a eu que «le tort de pointer sans détour les travers des siens».

Son texte est d'abord publié dans le quotidien italien La Repubblica, puis début février dans le journal français Le Monde. Kamel Daoud y lie les agressions sur des femmes commises par des groupes d'hommes arabes lors du réveillon à Cologne au rapport à la femme dans le monde arabo-musulman.

«Le sexe est la plus grande misère du monde d'Allah», où la femme est «niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée», a-t-il écrit. Et alors que l'Europe est confrontée à un afflux sans précédent de migrants fuyant la guerre en Syrie et en Irak, il appelle à ne pas «fermer les yeux sur le long travail d'accueil et d'aide» des réfugiés pour qu'ils abandonnent leur image de de la liberté de la femme vue «à travers la catégorie religieuse de la licence ou de la «vertu»».

Admiré par de nombreux Algériens pour sa liberté de ton aussi bien contre les islamistes que contre le pouvoir algérien, l'écrivain reçoit en 2015 le prix Goncourt du premier roman pour Meursault contre-enquête. Traduit en plusieurs langues, le livre imagine une identité à l'Arabe anonyme tué sur une plage d'Alger par le narrateur de L'étranger d'Albert Camus.

En 2014, il fait l'objet de menaces de mort pour «apostasie» d'un prédicateur salafiste algérien, dont le procès s'est ouvert mardi à Oran. Il avait alors reçu le soutien de nombreux écrivains et personnalités politiques en France. Il collabore à plusieurs médias en Europe et aux États-Unis.

«Chasse à l'homme»

Son texte intitulé Cologne, lieu de fantasmes, n'est donc pas passé inaperçu. Une semaine plus tard, un collectif d'historiens, sociologues, anthropologues, politistes l'accuse de «recycler les clichés orientalistes les plus éculés» et de favoriser «l'islamophobie». L'une des signataires, l'historienne et anthropologue franco-tunisienne Jocelyne Dakhlia, est revenue à la charge mardi pour l'accuser de «faire croire à un choc des cultures».

«Je déteste que l'on se mette en groupe pour faire la chasse à un seul homme», a réagi Benjamin Stora, historien du Maghreb contemporain. Indiquant à l'AFP qu'il «connaît bien Kamel Daoud», dont il loue «la liberté de ton», il souligne la difficulté à tenir sur une ligne de «double critique»: par exemple à la fois contre «l'islamisme» et contre le «fascisme européen».

«On somme Kamel Daoud d'être dans un camp ou dans l'autre», ajoute Benjamin Stora, notant aussi qu'il a écrit «un texte d'écrivain».

«C'est vrai que la question de la femme est centrale dans les sociétés du Maghreb», relève-t-il encore, évoquant raisons religieuses et structures patriarcales.

Pour Manuel Valls, le «réquisitoire» dressé par des intellectuels, «au lieu d'éclairer, de nuancer, de critiquer», condamne «de manière péremptoire».

Outre Fawzia Zouari, le jeune romancier sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, prix Amadou Kourouma 2015 pour Terre Ceinte, vole dans son blogue au secours de Kamel Daoud. Il y dénonce «l'arrogance» de ses détracteurs qui se réclament «d'une légitimité» scientifique, alors que le propos de l'écrivain «était relié à une expérience du rapport ambigu, malade lorsqu'il est radicalisé, de l'islam à la femme, à son corps, à la sexualité».

En Algérie, l'écrivain est controversé. Ses contempteurs, qui ne se recrutent pas seulement parmi les islamistes et les conservateurs (on y compte notamment l'écrivain Rachid Boudjedra) jugent son roman médiocre et attribuent son succès à de supposés penchants francophiles. Dans le quotidien Liberté, l'universitaire Ahmed Cheniki estime mercredi qu'il s'était fait «sans le vouloir peut-être, un porte-voix de l'extrême droite et des intégrismes religieux qui tentent de mettre en opposition (...) «monde musulman» et «Occident»».