City on Fire est un premier roman de 960 pages que son auteur a mis six ans à écrire, et qui a été acheté par son éditeur pour 2 millions de dollars. Garth Risk Hallberg nous a raconté le parcours qui l'a mené jusqu'à la publication de ce livre phénomène, roman choral qui se déroule dans le New York mythique des années 70 et qui arrive dans sa traduction française quelques mois après sa sortie en anglais.

Garth Risk Hallberg, 37 ans, signe un premier roman de 960 pages, pour lequel la maison d'édition Albert A. Knopf a payé la non modique somme de 2 millions. Dans un entretien téléphonique accordé à La Presse alors qu'il était en promotion à Paris, il nous a servi de guide dans sa vie et sur la route qui a mené à la création de City of Fire.

1978

Naissance près de Baton Rouge, en Louisiane. La famille s'installe plus tard en Caroline-du-Nord.

Années 90

Avide lecteur qui grandit dans une petite ville, il développe une passion pour New York, qu'il visite régulièrement avec des amis. «Mais au départ, pour moi, c'était l'endroit un peu magique d'où venaient les livres et où se déroulaient des romans que j'aimais - Stuart Little ou Harriet la petite espionne

2003

Dans l'autobus qui le conduit à New York, il observe la ligne d'horizon de la ville - altérée depuis les événements du 11 septembre 2001. «Seen the lights go out on Broadway», chante Billy Joel dans ses oreilles. Et là, le flash. «Les questions se posant dans la foulée des attentats au sujet de la communauté, de la sécurité, de la liberté, de la vie, de la mort étaient les mêmes que celles que l'on se posait en 1977, alors que la ville "brûlait" au propre comme au figuré. Bref, les années 2001-2002-2003 m'ont semblé comme un miroir des années de 1975-1976-1977».

Il savait dès lors où et quand se déroulerait son roman. Un lieu et un temps qui l'ont choisi. Pas l'inverse. Mais le flash allait plus loin que cela. «Le livre dans son ensemble, avec son intrigue, des scènes, ses personnages, son ton, sa vastitude... tout ça m'est apparu.» Sauf que: «Je n'avais que 24 ans! J'ai eu peur. Je n'étais pas "équipé" pour ce projet qui allait se déployer, je le sentais, sur très grand canevas.»

Comme lecteur, il a en effet été formé par ces romans-fleuves que sont La maison d'Âpre-vent de Dickens, Les frères Karamazov de Dostoïevski ou encore Les aventures d'Augie March de Saul Bellow. Cela allait déteindre sur l'écrivain en lui. «Mais je n'étais pas Dickens!» Bref, intimidé par l'ampleur que prendrait ce récit, «j'ai écrit une page et j'ai mis tout ça dans un tiroir».

2004

Il aménage (enfin!) à New York avec celle qui est aujourd'hui son épouse et avec qui il a deux enfants.

2007

Garth Risk Hallberg, qui contribue parfois au New York Times Book Review, n'a pas (complètement) dompté ses craintes, mais il n'a pas le choix. Il est «possédé» par cette histoire. Il doit s'en exorciser. L'écrire. «J'ai donc rouvert le tiroir et poussé la porte donnant sur ce monde touffu, dense qui avait continué à se déployer dans mon subconscient pendant ces quatre années. Un monde si vaste et imposant que je ne savais pas trop comment m'y prendre - jusqu'à ce que je "visualise" le point de départ, le 31 décembre 1976; et le point d'arrivée, le black-out de juillet 1977. Je me suis mis à l'écriture sans même penser que quelqu'un me lirait un jour. En fait, je ne croyais même pas que le roman serait publié un jour.»

Pas pour des raisons de qualité, mais parce qu'en cette époque où rien n'est jamais assez rapide, en cette ère des 140 caractères de Twitter, il n'imaginait pas un lecteur qui accepterait de consacrer des semaines à ses écrits. Mais qu'importe. «Je ne pouvais pas savoir si je réussirais ou si j'échouerais si je ne faisais rien. Alors, j'ai fait.» Et que sera, sera. Il était heureux et sincère dans sa tentative de «faire de l'art. Si j'échouais, j'échouais en tentant de faire de l'art. Ce qui, je crois, est une chose noble».

2007-2012

Il lui faut six ans pour compléter City on Fire. Il estime à 10 000 heures le temps consacré à l'oeuvre. Y travaillant de façon chronologique, du début à la fin. Avec des opérations «réécriture» à la fin de chacune de sept parties. Quand il a mis le point final au récit, la première partie avait été révisée six fois, la deuxième, cinq fois, etc. Et, de façon instinctive, il a clos chacune de ces sections par un «interlude»: une lettre qu'un père écrit à son fils, l'enquête que mène un journaliste, la fanzine publiée par une adolescente, etc.

«C'est un peu comme une ponctuation, des moments qui ne sont pas indispensables à l'intrigue, mais qui permettent de respirer. C'était aussi l'occasion pour moi de quitter le narrateur extérieur et d'exploiter la voix des personnages. Ça m'amusait, c'était comme une pause du chantier principal. Et croyez-moi, j'en avais besoin!», rigole le romancier.

2013

La rumeur monte au sujet du manuscrit de Garth Risk Hallberg. On évoque Michael Chabon (Les extraordinaires aventures de Kavalier and Clay) et Thomas Pynchon (L'arc-en-ciel de la gravité). Dans une guerre d'enchères de 48 heures, 10 éditeurs américains offrent plus d'un million de dollars d'avance pour le livre. Knopf rafle la mise en versant près de 2 millions.

2015

Publication de City on Fire aux États-Unis. Avant cela, des ententes de traduction sont signées avec 15 pays, et les droits d'adaptation au cinéma sont achetés par Miramax. Pendant deux ans, donc, Garth Risk Hallberg a plus été connu pour l'entente qu'il a signée pour son livre que pour le livre lui-même. Surréaliste? Parlez-en au principal concerné!