L'écrivain Michel Tournier, l'un des grands auteurs français de la seconde moitié du XXe siècle, Prix Goncourt pour Le roi des Aulnes en 1970, est décédé lundi à l'âge de 91 ans, chez lui non loin de Paris, ont indiqué à l'AFP ses proches.

Il est mort vers 19h, entouré de ses proches, dans le village de Choisel, en région parisienne.

«On vivait 24 heures sur 24 avec lui, il ne pouvait plus rester tout seul depuis trois mois» en raison de son état de faiblesse, a déclaré à l'AFP son filleul Laurent Feliculis, que l'écrivain considérait comme son fils adoptif et qui était présent à ses côtés au moment de son décès.

«Il souhaitait être enterré ici», a indiqué Alain Seigneur, le maire de Choisel, commune de quelque 550 habitants où l'écrivain résidait depuis 1957. «Ce village, il en était un peu amoureux. Il avait choisi l'emplacement de sa tombe au pied d'un arbre.»

La disparition de Michel Tournier, cité pour le Nobel et largement traduit, seul auteur à avoir obtenu le Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français, à l'unanimité, a aussitôt suscité des hommages du monde de la culture.

«Dès demain, je ne pourrai plus répondre Michel Tournier à la question: quel est le plus grand romancier français vivant ?», a réagi sur Twitter Bernard Pivot, président de l'Académie Goncourt. Il «a rejoint ce soir les grands noms de l'histoire et des mythes dont il a été le génial romancier».

«"À nos coeurs rendus malades par le temps, l'oeuvre d'art apporte un peu d'éternité". Merci Michel Tournier pour ce morceau d'éternité. RIP», a quant à elle tweeté la ministre de la Culture Fleur Pellerin, citant l'écrivain.

Les grands mythes en romans

 À la croisée des cultures française et allemande, Michel Tournier a revisité, dans son oeuvre de romancier à forte empreinte philosophique, les grands mythes de l'humanité.

Cité plusieurs fois pour le Nobel, connu dans une bonne partie du monde, fait dernièrement commandeur de la Légion d'honneur, Michel Tournier était aussi un passionné de photographie et un important auteur pour la jeunesse.

Il vivait depuis plus d'un demi-siècle dans son presbytère de Choisel, en région parisienne, où il avait été le voisin d'Ingrid Bergman. Le président François Mitterrand lui avait un jour rendu visite.

Souvent coiffé d'un bonnet de laine, l'écrivain se présentait sous les traits d'un célibataire affable et attentif, parfois «grande gueule». En 1989, ses propos anti-avortement avaient fait beaucoup de bruit.

Il parlait un français magnifique. D'ailleurs, casser la structure du roman et du langage, comme certains de ses contemporains, ne l'intéressait pas.

Michel Tournier a 43 ans quand il débute avec Vendredi ou les limbes du Pacifique, un coup de maître. Grand prix 1967 de l'Académie française, ce récit d'aventures autour de Robinson se vendra à cinq millions d'exemplaires.

Avec Le Roi des Aulnes (1970), l'écrivain, qui affirmait ne pas être «un littéraire d'origine», s'empare encore d'un mythe pour réaliser le passage de la métaphysique au roman.

Il raconte l'histoire (reprise de Goethe) d'un ogre en Prusse orientale qui consomme de la chair humaine, séduit la jeunesse et la jette dans la guerre. Comme Hitler. Le roman, porté à l'écran par Volker Schloendorff en 1996, est le seul à avoir été choisi à l'unanimité des jurés pour le Goncourt.

Sa troisième fiction, encore un très grand texte, Les Météores (1975), traite de sa fascination pour la gémellité.

Point zéro de la création (Vendredi), Monstre (Le roi des Aulnes), jumeaux dont la naissance est parfois attribuée à une intervention divine (Les Météores): le «matériel» de Tournier n'a décidément rien à voir avec l'histoire ou la psychologie classiques, naviguant parfois près de l'anthropologie.

Classique de la littérature

Il pensait que pour rester élégant dans le malheur, il n'y a rien de tel qu'un grand mythe: «Une femme qui a une histoire d'adultère, si elle pense à Tristan et Yseult, elle trouvera un réconfort, peut-être une justification, en même temps elle trouvera une leçon de grandeur».

En 1979, il est élu «écrivain de la décennie» par la presse littéraire française. Et devient un classique.

Michel Tournier est né à Paris le 19 décembre 1924 dans une famille marquée par le catholicisme, la musique et la culture allemande, ses parents étant professeurs agrégés d'allemand.

Ce pays «est une partie de moi-même. J'en suis un ami. Un ami très critique», confiait-il, estimant que la réunification de 1989 avait été trop brutale.

Il passe une partie de son enfance en Allemagne, avant la guerre. Après, il étudie la philosophie. Il ne se remettra vraiment jamais de son échec à l'agrégation et renoncera à enseigner.

De 1950 à 68, il est journaliste, traducteur, attaché de presse (à Europe 1), éditeur (chez Plon), auteur d'émissions de radio et de télé.

Élu en 1972 juré Goncourt, membre du comité de lecture de Gallimard, il publie beaucoup: Le Vent Paraclet (1977, essai), Le Coq de bruyère (1978, nouvelles), Gaspard, Melchior et Balthazar (1980, roman), Gilles et Jeanne (1983, roman), La Goutte d'Or (1986, roman), Le médianoche amoureux (1989, contes), Eléazar (1996, roman), Célébrations (1999, essai) ou Journal extime (2002).

Les livres pour enfants le passionnent. Michel Tournier adapte un Vendredi pour la jeunesse qui devient un classique et écrit au total une quinzaine de livres pour jeunes, comme Amandine ou les deux jardins.

Enfin, on lui doit une dizaine d'ouvrages consacrés à la photo. «J'ai fait des dizaines d'émissions à la télévision sur la photographie, j'ai été un des créateurs des Rencontres internationales d'Arles, eh bien, je suis maintenant persuadé de la dangerosité et de la nocivité de l'image», estimait-il toutefois.

«Je ne désire que trois choses», assurait ce chrétien qui n'aura cessé de douter : de l'or, de l'encens et de la myrrhe. L'or représente les droits d'auteur, l'encens les bonnes critiques et la myrrhe le passage à la postérité». Désirs exaucés.