Dans un roman surprenant, Gilles Archambault s'amuse à brouiller les pistes plus que jamais entre la fiction et sa vie ou plutôt celle d'un narrateur qui porte son nom et qui rencontre, à 80 ans, son démon du midi.

Gilles Archambault vit dans le Vieux-Montréal, tout près d'un édifice où l'on pouvait acheter ses livres au rabais il y a 40 ans. Hasard ou ironie? Les deux sans doute. On pourrait presque y entendre le monologue intérieur d'un personnage, mélancolique et lucide, de l'un de ses romans.

L'édifice en question, le Palais du livre, a été détruit par un incendie, mais l'auteur, lui, reste d'un bois toujours vert. Son plus récent roman affiche une audace qui rappelle, justement, ses tout premiers livres dans les années 60.

Doux dément renoue plus étroitement avec l'autodérision et l'autocritique. Son narrateur se nomme Gilles Archambault, même si ce n'est pas lui, pas tout à fait. L'étincelle dans le regard de l'écrivain ne ment pas en tout cas.

«Tous mes livres ont à voir avec la personne que je suis. J'écris des fictions complètement empreintes de la personnalité que j'ai ou de l'absence de personnalité qui est la mienne. Au bout de 15% d'écriture, je me suis dit que j'allais plonger et appeler le narrateur Gilles Archambault pour me créer une difficulté supplémentaire. On est rusé quand on écrit», fait-il avec un sourire qui ne le quittera qu'au moment de prendre une gorgée de scotch pendant près de deux heures d'entrevue.

«En écrivant ce roman, ajoute-t-il, j'ai décidé de ne pas être tout à fait prudent. On entendra donc tout ce qui se passe chez moi. Pour quelqu'un de moindrement sensible et que ça intéresse, tout moi est là-dedans. Avec des choses inventées, amplifiées, diminuées ou non.»

Après la mort de sa femme, il y a cinq ans, il a écrit un récit bouleversant, Qui de nous deux?, lui rendant hommage. Il croyait, alors, en avoir fini avec le roman.

«Ce livre m'a fait du bien surtout en ceci, je craignais de ne plus écrire et j'ai réussi à écrire en disant des choses qui, à moi, me coûtaient. Là, il n'y a personne à côté de moi à qui demander si telle idée ou telle autre est bonne. Qui de nous deux?, je ne suis pas sûr que ma femme aurait été d'accord, même si je chante ses louanges. Elle aurait préféré que je ne raconte pas certaines choses. Cela dit, elle ne m'a jamais censuré. Jamais.»

Amour platonique

Le narrateur de Doux dément, donc, tombe «amoureux» d'une voisine. Anouk, beaucoup plus jeune et excessive que lui. Un amour qui restera platonique et qui, à bien des égards, n'est rien qu'une illusion.

«Anouk apporte justement la vie à ce personnage qui avait la sensation de s'éteindre. Il y a quand même de la vie dans ce livre de vieux chnoque.»

Le narrateur et Anouk seront amis. Et c'est d'ailleurs à l'amitié que lève son verre Gilles Archambault, autant le narrateur que le romancier.

«Quand on a 82 ans, on sent le besoin de dire merci. L'amitié et la nostalgie de la relation amoureuse ont de l'importance. Si j'avais vraiment connu Anouk, je n'en aurais pas fait un livre. Mais je me sers de la fascination qu'ont toujours exercée les femmes sur moi pour créer ce personnage et cette folie qui va durer une semaine au maximum. Il sait très bien qu'il ne tombera pas amoureux d'elle, pas plus qu'elle de lui, mais il aime cette illusion-là.»

Juste mesure

Gilles Archambault n'est pas l'homme des catastrophes ou des enthousiasmes délirants. Il fait dans la juste mesure. Ceux qui le voient comme un pessimiste endurci l'ont bien peu lu ou n'ont rien compris.

«Je ne suis pas sur terre pour écrire des livres qui font du bien aux gens, pas plus qu'à moi. J'endosse complètement cette citation de Cioran: "Je ne suis pas pessimiste, j'aime ce monde horrible." Je ne crois pas que le monde est horrible, mais il est parfois insignifiant. Je ne pense pas qu'on vive à une époque merveilleuse, mais je ne suis pas de ceux qui disent que c'était mieux dans le temps. Pourquoi c'est triste, la vie? Parce que c'est beau et que ça va finir. Je ne suis pas pessimiste, je voudrais trois vies, moi.»

Et non, Doux dément n'est pas une autofiction, même si d'autres personnages se nomment Jacques Godbout, André Major et Jacques Brault. Le livre parle abondamment de l'amitié qui comprend et pardonne tout, même à un homme âgé de tomber amoureux.

Personnellement, la musique et la littérature le gardent en vie, même s'il n'a pas de prochain roman en tête. Mais, comme depuis 28 ans, il sera au prochain Salon du livre où il proposera encore des entretiens avec de nombreux auteurs.

Et il publiera un essai au Noroît, Une démarche de chat, au début de 2016.

«C'est une lettre envoyée à la fille d'une ancienne amoureuse, je précise que c'est inventé, qui a écrit deux livres et qui se plaint d'être reçue avec trop de tiédeur. Je lui dis de ne pas s'en faire. C'est une sorte de méditation sur l'écriture.»

Méditez, M. Archambault, surtout, ne vous dérangez pas pour nous.

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Doux dément

Gilles Archambault

Boréal, 240 pages



EXTRAIT

«Tant de livres paraissent. Bon nombre d'entre eux ne sont même pas utiles à ceux qui les ont écrits. Et, toi, Archambault, tu ferais mieux? Il y a longtemps que j'en doute. Je n'aurais peut-être pas persévéré dans l'écriture de ce roman si je n'avais pas été persuadé tout à coup qu'écrire m'amusait de nouveau. Après des mois et des mois de totale inaction, j'écris avec ferveur. Sans à aucun moment être bercé par un quelconque espoir de reconnaissance, j'écris. Je le devrais à l'adolescent que j'ai été. Celui auquel je pense lorsque je cède au cynisme. Jamais pour très longtemps, il est vrai. Tu es un tendre, me dit ou m'écrit Anouk. Je me sens tout drôle quand je me compare au jeune garçon que j'étais. J'ai même un peu honte. Je n'avais pour me soutenir qu'un appétit de connaître. Ce que j'ai pu entretenir de faux espoir! L'avenir, je n'y pensais pas. Celui d'aujourd'hui m'effraierait si je m'y attardais trop longtemps. À seize ans, je n'en voyais qu'une force qui m'entraînerait peut-être si j'avais de la chance. Cette chance, je l'ai eue. Je n'ai pas toujours su en tirer profit.»