Deviner le nom du lauréat du prix Nobel de littérature, dévoilé jeudi, revient à chercher une aiguille dans une botte de foin, avec une foule de prétendants mais aucun indice pour déterminer à l'avance l'heureux élu.

Qui de Svetlana Alexievitch, Mircea Cartarescu, Joyce Carol Oates, pour ne citer qu'eux, succédera au Français Patrick Modiano? Le suspense est entier, et les sites internet de paris adorent.

«Le prix Nobel de littérature, c'est une compétition un peu mystérieuse. Chacun veut pouvoir tirer du prestige d'avoir deviné le bon nom», confie Jonas Nilsson, responsable de la communication d'Unibet Suède.

Chez les observateurs avertis, personne n'ose vraiment avancer de nom.

«Ce qui est certain, c'est que l'Académie suédoise (qui choisit le lauréat) aime surprendre», affirme à l'AFP Gustav Källstrand, conservateur au musée Nobel. Son favori? Il éclate de rire quand on lui pose la question.

«Il est impossible de dire qui sera le lauréat cette année. Il y a plus de cent auteurs envisageables, certainement davantage même...» résume Madelaine Levy, critique littéraire du quotidien Svenska Dagbladet.

L'immuable méthode de l'Académie ne varie pas: en février, elle établit une liste de toutes les candidatures qui lui ont été soumises, avant de la réduire en mai à cinq noms, sur lesquels ses membres planchent pendant l'été avant de déterminer l'élu. Début octobre, arrive pour lui la consécration.

Pour se repérer dans ce flou, on peut analyser les tendances des dernières années, et par exemple remarquer que l'Europe a été surreprésentée.

«Dernièrement l'Académie a eu tendance à s'intéresser aux auteurs qui auscultent l'identité européenne après la Shoah (...) et aussi ceux qui explorent les traces du colonialisme», estime Björn Wiman, responsable des pages culturelles du quotidien Dagens Nyheter.

Dans ce contexte, Mme Levy «imagine que le prix ne récompensera pas un Suédois, si peu de temps après Tomas Tranströmer (primé en 2011), ni encore un Français après Modiano».

Mais selon Jens Liljestrand, critique littéraire au journal Expressen, le critère géographique n'entre même pas dans les considérations de l'Académie. «Ce n'est pas comme lorsqu'on prévoit la prochaine ville hôte des jeux Olympiques et qu'on se dit: cette fois, c'est le tour de l'Afrique», dit-il.

Disette pour les États-Unis

Dans les dîners en ville à Stockholm, on s'accorde à dire qu'il serait de bon ton de récompenser la littérature africaine. Le Kenyan Ngugi wa Thiongo, le Somalien Nuruddin Farah et le Nigérian Ben Okri seraient alors bien placés.

À moins que les États-Unis mettent fin à des années de disette, «complétement incompréhensibles» d'après M. Liljestrand. Leur dernier Nobel de littérature remonte à 1993.

«L'Académie a manifesté une aversion vis-à-vis de la littérature américaine (...) Je ne protesterai pas si Roth ou Oates étaient récompensés», souligne M. Wiman.

Outre les considérations géographiques, on peut aussi noter que la très féministe Suède n'a donné ce prix qu'à 13 femmes, sur 111 lauréats depuis 1901.

«Pendant longtemps, ça a aidé d'être un homme, âgé de préférence. L'Académie ne réfléchissait pas à cette problématique: l'inégalité entre les sexes était une évidence», souligne Madelaine Levy.

«Lors des dix dernières années, les statistiques, qui ne sont toujours pas réjouissantes, montrent une sensible amélioration (...) ce qui démontre qu'on est désormais conscient» du problème, et que le jury «s'efforce de faire des choix plus justes», ajoute-t-elle.

«Dernièrement, il y a eu pratiquement une femme tous les trois ans. Ils sont plus attentifs», abonde Jens Liljestrand.

La préférée des parieurs, la Bélarusse Svetlana Aleksievitch, est une prétendante crédible, d'autant que «son oeuvre est à la frontière entre reportage et roman: un genre qui n'a pas été récompensé», relève M. Wiman.

Autre femme dont le nom est apparu récemment, l'Américaine Ursula Le Guin. Mais cela impliquerait que l'Académie se convertisse à la science-fiction, genre qui suscite encore la méfiance dans l'aristocratie littéraire.

«Exaltant, mais pas vraiment crédible», estime M. Liljestrand.