L'auteur Stéphane Dompierre retrouve, dix ans plus tard, les personnages d'Un petit pas pour l'homme et Mal élevé dans Tromper Martine, son plus récent roman, publié chez Québec Amérique. Un regard sur le couple et l'infidélité... à l'instar du film québécois le plus populaire du moment.

As-tu vu Le mirage ?

Oui.

Est-ce que ça t'embête qu'on fasse le parallèle entre le film et ton roman ?

Pas du tout !

Je trouve qu'il y a des similitudes entre ces personnages qui, à 40 ans, sont à la croisée des chemins, au bord du burn-out. Ils se questionnent sur l'avenir de leur couple et partagent les mêmes préoccupations. En voyant le film, as-tu senti cette communauté d'esprit avec Louis Morissette ?

Quand j'ai vu la bande-annonce, j'ai un peu capoté ! J'ai eu peur qu'on parle de la même chose, en même temps. C'était pareil avec Un petit pas pour l'homme. Il y avait beaucoup de gars dans la trentaine qui parlaient du couple. Je n'avais pas l'impression de faire partie d'une vague. On ne s'est pas consultés ; on ne se connaissait pas. J'ai écrit ça seul chez moi. Mon roman est différent du film, qui pourrait être la prémisse de mon histoire. Mon personnage prend un long congé...

Isolé à la campagne...

On retrouve mon personnage avant sa crise. Alors que le personnage du Mirage va vers sa crise. Les deux histoires sont distinctes. L'amour et les relations humaines, c'est un propos qui est difficilement rendu dans un film. J'ai quand même trouvé ça bon ! J'ai trouvé que c'était sans complaisance. C'est rare qu'un film québécois se permette de finir comme ça.

J'ai trouvé que la fin était forte. C'est pour moi l'élément le plus original du film. Je me suis reconnu au début dans le tourbillon familial - j'ai deux garçons -, mais le reste m'a semblé plus convenu.

On parlait beaucoup de grosseur de seins... Mais quand même, ça fait du bien de voir un film comme ça, qui n'est pas une franche comédie, qui ne multiplie pas les gags et qui nous laisse sur une fin ouverte.

C'est un regard sur un homme de 40 ans qui se sent pris au piège dans un engrenage familial. C'est aussi le cas de ton personnage, Nicolas...

Ce en quoi le film et mon roman diffèrent complètement, c'est que, dans le film, les gens ont tous l'air malheureux. Tandis que dans mon livre, ils se disent quand même heureux. Ils auraient pu faire d'autres choix, mais ils les assument, pour le meilleur et pour le pire.

À la fin d'Un petit pas pour l'homme, le personnage de Daniel se pose différentes questions : « Pourquoi je tiens à être dans une relation ? Pourquoi je veux coucher avec d'autres filles ? » As-tu voulu répondre à ces questions ?

Je compare beaucoup Tromper Martine à Un petit pas pour l'homme. Comme auteur, je trouve qu'ils forment un tout. J'ai mis 20 ans d'observations sur le célibat dans Un petit pas pour l'homme. Et j'ai mis 20 ans d'observations sur le couple dans Tromper Martine. Je pense qu'il y a une honnêteté que j'ai pu me permettre là-dedans parce que je suis bien en couple. Je savais que ma blonde allait le lire. Et j'étais content d'être dans une relation simple et saine, sinon je n'aurais pas eu le courage de tout écrire ça. Je sens que ça va susciter de belles discussions dans le couple. C'est une belle seconde vie pour un roman.

Le titre déjà, Tromper Martine, peut susciter de belles discussions... Le voulais-tu volontairement provocateur ?

(Rires) Non. J'aimais l'idée d'énoncer une quête dans le titre. Il y a beaucoup de tentation dans le roman. La vie de Nicolas est presque un film de cul.

Tout s'offre à lui.

Et il se demande quoi faire. J'ai pensé au titre dès le départ, ce qui est rare pour moi. Mais je ne dirais pas qu'il est volontairement provocateur. Je sais d'expérience que la provocation dépend du niveau de tolérance du lecteur. Ça fait jaser, ce qui me fait plaisir.

C'est un titre qui fait réagir. As-tu eu peur qu'on t'accuse d'avoir choisi un titre macho ?

Quand on lit le roman, on voit que c'est Martine qui a le plus beau rôle. On ne me déteste pas après avoir lu mon livre, mais c'est sûr que les Martine réagissent sur mon Facebook ! (Rires) Au-delà de ça, le livre parle beaucoup des règles qu'on se fixe. Ceux qui décident d'élargir les règles de leur couple finissent par les dépasser. Mon roman parle d'un couple qui a établi des règles simples et qui aimerait les redéfinir sans savoir comment en parler. Quand tu es en couple depuis longtemps et que tu dis à l'autre que tu aimerais assouplir les règles, c'est perçu comme une envie de coucher ailleurs. Il y a un danger de dire ça soudainement et candidement.

Les multiples tentations du personnage sont pour toi autant de mises en scène de fantasmes ?

C'est pour moi une façon de montrer presque tous les scénarios possibles de dangers pour lui. Est-ce que le voyeurisme est l'équivalent de tromper sa blonde ? Ce que permettent les nouvelles technologies repousse-t-il la définition de l'infidélité pour un couple formé il y a 16 ans ? Il y a des choses qui ne peuvent être établies au départ. Peut-être que de regarder volontairement deux lesbiennes de l'autre côté de la rue et se tripoter en même temps, ce n'est pas super acceptable...

C'est l'ultime cliché du fantasme mâle hétérosexuel, non ?

Je trouvais forte la symbolique de la fenêtre. Le fait de ne pas pouvoir toucher. C'est aussi un rappel d'Un petit pas pour l'homme, qui contenait une scène semblable. Il y en avait une aussi dans Mal élevé. Tous les personnages ont vécu cette scène. C'était pour moi une scène très chargée. C'est un fantasme. Je ne suis pas le premier à en parler. Je pense que les gens vont se reconnaître dans mon roman. Quand ma blonde l'a lu, elle a été ébranlée. Pas parce que c'est moi, l'auteur, mais parce que ce sont de vraies affaires que pensent et vivent les gars. Ce qui se passe dans leur tête.

Est-ce qu'il y a, selon toi, un décalage entre la réalité et la perception que les femmes ont des hommes de 40 ans ?

Ma blonde a beaucoup réagi en réalisant que lorsque je vois une fille avec de belles fesses qui marche devant nous, je vais peut-être l'imaginer cinq secondes en action avec moi. Je ne vais pas perdre le fil de la conversation ! (Rires) C'est quelque chose qui la fascine complètement. Elle a 32 ans et elle ne connaît pas de fille qui est comme ça. Les gars, on peut prendre un instantané et emmagasiner ça pour plus tard. Je sens qu'il y a des filles qui vont demander à leur chum de lire mon livre pour voir ce qu'ils en pensent... J'aurais dû faire un questionnaire à la fin !

Il y aurait certainement eu une question sur l'engagement. Ton roman reflète-t-il, par la réaction de Nicolas à ces diverses tentations, ta vision de l'engagement du couple ?

Tous les choix viennent avec un prix. Il y a des avantages et des inconvénients. Peu importe le choix qu'il fait, il se coupe de plaisirs. C'est un choix doux-amer.

Est-ce que, pour toi, c'est clairement un roman de crise de la quarantaine ?

J'aime rarement le mot crise. Je trouve que ça isole. Ça voudrait dire que ça n'arrive qu'aux gens de 40 ans, alors que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas une question d'âge. Nicolas est un personnage au bord de l'épuisement, sur le pilote automatique, qui est obligé de se redéfinir. Suis-je encore heureux là-dedans ? Est-ce un mode de vie qui me convient ? Quand tu ne prends pas le temps de te poser la question, tu n'as pas de réponse.