Au fil des ans, le Festival international de littérature (FIL) a pris la bonne habitude de proposer une lecture créée outre-Atlantique par de grands noms: les Jean-Louis Trintignant, Fanny Ardant, Denis Lavant, Sami Frey, Charlotte Rampling ont ainsi tour à tour lu leurs auteurs préférés à Montréal. Cette fois, place à l'adorable Jane Birkin, accompagnée du grand comédien Michel Piccoli et du sociétaire de la Comédie-Française Hervé Pierre, réunis pour lire du Gainsbourg. Gainsbourg poète.

Au bout du fil, Jane Birkin raconte avec ferveur: «"Cherge" ne supportait pas de faire des rimes pauvres. Je me souviens encore, il se désolait d'avoir dû utiliser le mot "chérie" dans sa chanson Dieu est un fumeur de havanes, ça l'a navré, ça n'était pas original! Il était toujours à la recherche de rimes riches, il voulait toujours rendre hommage à Cole Porter [grand auteur-compositeur américain], il utilisait d'ailleurs le même procédé poétique que Porter, l'enjambement et le rejet, et il éprouvait une vraie excitation quand il avait trouvé une rime inhabituelle.»

Des rimes inhabituelles, des images fortes, une langue vivifiée, on trouve tout cela et bien plus, c'est vrai, dans les quelque 500 textes de chansons de Gainsbourg (à lire, pour les fans: les 975 pages de L'intégrale et caetera, qui regroupe les textes du grand Serge, aux éditions Bartillat).

Au cours de la lecture Gainsbourg, poète majeur, 69 (chiffre érotique) de ses textes seront lus par Birkin, Piccoli et Pierre. Pendant une heure trente, ces trois grands interprètes, accompagnés d'un ami pianiste (l'incroyable Fred Maggi), donneront de tout autres sens aux paroles des chansons Les dessous chics, Poupée de cire, poupée de son, Variations sur Marilou (qui débute si joliment par «Dans son regard absent/Et son iris absinthe»), Comic Strip. Mais aussi des moins connues comme Shush Shush Charlotte ou L'hippopodame.

«Ce n'est pas Électre ou un truc comme ça, convient Jane Birkin, mais c'est parfois déchirant. En fait, c'est même parfois à se flinguer de tristesse, les textes de "Cherge", mais sans jamais être mélodramatique, toujours élégant. Et excessif!»

Les irremplacés

L'idée de cette lecture est née à Toulouse en novembre 2013, lorsque Birkin, en tournée pour son magnifique spectacle Arabesque, se dit que ce serait bien que la deuxième représentation du spectacle soit différente: pourquoi ne pas plutôt lire que chanter du Gainsbourg?

À partir de là, contact avec le complice de toujours de Serge et Jane, Philippe Lerichomme. C'est lui qui a notamment convaincu Gainsbourg de tâter du reggae (ce qui a donné l'incroyable album Aux armes et caetera), convaincu Birkin d'orientaliser les musiques de son "Cherge" pour Arabesque, etc. C'est donc lui qui va choisir les textes les plus pertinents pour une telle lecture et concocter le spectacle, tout simple: 3 tables, 3 lecteurs, 69 textes.

Mais le 11 décembre 2013, Kate, l'une des trois filles de Jane Birkin, se suicide. Jane s'écroule. Plus de lecture. Plus de projet. Et puis, peu à peu, elle se relève, parce qu'il le faut. En septembre 2014, elle monte enfin sur scène avec, à ses côtés, l'ami Piccoli et l'acteur Hervé Pierre (que Birkin connaissait parce qu'elle voulait tourner l'intégrale de la pièce Le voyage à La Haye de Jean-Luc Lagarce, interprétée par le comédien sociétaire de la Comédie-Française).

Et puis il y a aussi son ami le musicien Fred Maggi, à qui on doit les fabuleux arrangements du spectacle Arabesque de Jane Birkin, l'un des 10 plus beaux concerts jamais vus, en ce qui nous concerne. Soulignons au passage que Michel Piccoli a 89 ans bien sonnés.

«C'est mon idole de toujours, dit Birkin avec un beau rire, c'est quelque chose, quand on va dans les gares, les lieux publics, partout, les gens se retournent à son passage, c'est un personnage statuesque!»

Les représentations à Montréal (au Théâtre Maisonneuve le 24 septembre) et à Québec (à la salle Albert-Rousseau le 27) seront les avant-dernières de Gainsbourg, poète majeur. Il sera ensuite présenté deux ultimes fois au Théâtre Odéon à Paris, en novembre.

«C'est vrai qu'on a fait très peu de représentations, finalement, constate Jane. Souvent parce qu'Hervé Pierre était occupé au théâtre, c'est vrai. Mais dès le début, quand on m'a demandé si je ne voulais pas prévoir un remplacement pour Hervé, j'ai dit non. Je n'aime pas, non, je n'aime vraiment pas cette idée qu'une personne peut être remplacée.»

Car il existe des irremplaçables. En tout cas en musique, en poésie, en chanson. Par exemple, Serge Gainsbourg. L'homme à la tête de chou, l'homme des provocations de tout acabit, l'homme dont les chansons sont constamment reprises depuis sa mort en mars 1991. Et l'homme qui aimait les poètes, les écrivains, et s'inspirait de tout, toujours. Tenez, comment lui est donc venue l'expression Je t'aime, moi non plus, véritable phrase emblématique aujourd'hui?

Birkin raconte: «"Cherge" avait lu que Dali avait dit de Picasso: «Picasso est espagnol - moi aussi! Picasso est un génie - moi aussi! Picasso est communiste - moi non plus!» C'est ce qui lui a donné l'idée de Je t'aime moi non plus

Et l'histoire de la chanson française n'a plus jamais été la même.

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Gainsbourg, poète majeur Au Théâtre Maisonneuve de la PDA, le jeudi 24 septembre.