L'Américain Douglas Kennedy est ce qu'on peut appeler un écrivain à succès. Il a vendu plus de 14 millions de livres depuis ses débuts. Il vient de publier Mirage, son 12e roman dont l'intrigue se situe au Maroc.

Un couple, Robyn et Paul, se retrouve dans ce pays romanesque et souhaite avoir un enfant. Ce séjour qui devait être idyllique va se transformer en cauchemar. Paul disparaît. Robyn va découvrir les terribles mensonges de son mari et se lancer à sa recherche, au péril de sa vie.

Dans ce roman intense, Douglas Kennedy reprend des thèmes qui lui sont chers : la vie qui bascule, la difficile vie de couple, le doute que nous avons en chacun de nous, la survie. Nous l'avons joint à Paris où il est en tournée de promotion. Il a répondu à nos questions dans un français impeccable.

Vous qui vivez entre New York, le Maine et Montréal, est-ce que Montréal est une ville inspirante pour vous ?

Oui. C'est une ville passionnante. Ma deuxième femme est montréalaise, et nous habitons dans le Vieux-Montréal environ une semaine par mois. Le reste du temps, nous sommes entre New York et notre maison dans le Maine. J'aime Montréal qui est une ville internationale, abordable pour les jeunes et où il se passe plein de choses. J'aime beaucoup la musique classique, la Maison symphonique est formidable tout comme les événements de la salle Bourgie, mais aussi l'Orchestre Métropolitain de Yannick Nézet-Séguin, qui est certainement mon chef préféré. Je suis cinéphile, j'aime la Cinémathèque québécoise, je suis un habitué du Cinéma du Parc et de l'Ex-Centris. J'aime aussi le fait que ce soit une ville francophone.

Dans Mirage, tout bascule. Notre vie peut-elle basculer à tout moment ?

Mirage, c'est la vie d'un couple qui vit une crise dans un pays exotique, le Maroc. Il y a plusieurs mirages dans ce roman. Il y a celui du désert, celui dans la tête de Robyn, mais aussi, le plus grand mirage est peut-être celui de son mariage. Le mirage c'est aussi soi-même, et c'est également l'amour. Le roman pose une question immense qui reste sans réponse parce que je ne suis ni prêtre ni psychologue : est-il vraiment possible de connaître la personne avec qui l'on vit ? Est-il possible de vraiment se connaître soi-même ? 

Votre livre aborde aussi la question de la maternité, le fait d'avoir 40 ans et de vouloir un enfant.

Robyn, qui est une femme très rationnelle et très carrée, devient amoureuse de son contraire, un charmeur, un joueur irresponsable qui a des problèmes d'argent. Après un premier mariage et une période glauque, elle a un coup de foudre. Mais la question de la maternité se pose, alors elle reste dans ses illusions. J'ai 60 ans et je me souviens très bien, il y a 20 ans, que pour beaucoup de mes amies, c'était un véritable dilemme qui se posait. La maternité, c'était maintenant ou jamais ! Après une rupture, il y a urgence, on tombe sur quelqu'un, on se dit : « Ah, je peux le changer », mais franchement, c'est toujours une catastrophe de dire ça ! C'est faux, on ne change pas les gens. En amour, on ne voit bien que ce qu'on veut voir.

Votre vision du couple est très réaliste ?

Oui, ce n'est pas une vision pessimiste, mais réaliste. Je me suis remarié il y a peu de temps et je suis heureux avec ma femme. Je vois avec une certaine clarté le sujet de la condition humaine. Il y a toujours des tensions dans un couple. Créer une vie avec quelqu'un d'autre, c'est un des plus grands défis d'une vie... et rester en couple avec cette même personne aussi, c'est un immense défi.

Vous dites que dans vos romans, il est question des inquiétudes modernes ?

On vit dans un monde de l'instantané avec l'internet. On est connectés en permanence, mais à l'inverse, nous sommes aussi déconnectés. Le fait que rien n'est stable maintenant est une réelle inquiétude. Les métiers que nous pratiquons sont instables, les problèmes d'argent sont multiples, on craint toujours d'en manquer, les gens luttent tout le temps... la classe moyenne encore plus.

Il est aussi question de survie dans vos romans ?

Oui, exactement, survivre est un de mes grands thèmes. Survivre est essentiel. Robyn découvre des choses très fortes sur elle-même pour sa propre survie. La vie est une expérience qui amène son lot d'expériences bienveillantes et malveillantes. Il faut trouver des solutions aux situations que nous vivons tous. J'ai un fils autiste, alors ç'a été un grand travail. Au début, c'est un traumatisme, on se dit que c'est un enfant handicapé, mais il est entré à l'université. Tout le monde vit de grandes tragédies ou des déceptions personnelles, mais il faut continuer. Ce n'est pas une question d'être américain et optimiste, mais de faire comprendre que la vie est un mélange de choses merveilleuses et de moments durs. Le tout est d'avoir une vie intéressante, c'est déjà pas mal.

La vie des autres vous inspire ?

Je suis un voleur ! Ne me dites rien ! J'aime la vie des autres, tout m'intéresse, ça me fascine et c'est ça mon matériel. Honnêtement, la vie des autres est sans aucun doute mon plus grand sujet.

Qu'apporte le succès ?

L'avenir de mes enfants est assuré. Je peux vivre dans plusieurs villes intéressantes comme New York, Paris, Montréal, Berlin, j'ai une maison au bord de la mer dans le Maine et je voyage beaucoup. Je pars en Australie avec ma femme pour mes 60 ans ! En dehors de ça, je prends le métro comme tout le monde, j'ai une carte Opus à Montréal, je peux acheter les meilleures places à la Maison symphonique de Montréal, au Philarmonique de Berlin ou au MET à New York. Je vis comme un étudiant riche finalement, c'est pas mal !

EXTRAIT DE MIRAGE

« Quand nous sommes arrivés dans la suite, je me suis dirigée directement vers le balcon. Dehors, face au soleil, les toits bleutés se fondant dans le ciel maintenant plus clair, la surface miroitante de l'Atlantique reflétant l'incroyable luminosité nord-africaine, je me suis abandonnée à la contemplation et à l'émerveillement. Oui, c'était merveilleux de me trouver aux confins occidentaux de l'Afrique, au-dessus d'une cité vénérable encerclée par l'océan et le désert, disposée à m'immerger tout un mois dans un univers qui m'était radicalement étranger mais dont je sentais déjà l'attraction sur moi. Quel privilège exceptionnel d'avoir échappé à la grisaille et d'être ici. Et tout cela, je le devais à l'homme dont je percevais la présence dans la chambre, celui avec qui j'espérais tant que les choses s'arrangeraient. »

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Mirage