«Jeune écrivain» de 54 ans, le Français Grégoire Delacourt publie son cinquième roman en cinq ans, après avoir reçu une kyrielle de prix et de nominations pour ses quatre premiers enfants de papier, vendus à des dizaines de milliers d'exemplaires. Entrevue avec un homme qui estime que «les chagrins d'amour sont aussi une forme d'amour».

Parce qu'il «n'aime pas faire le même roman», Grégoire Delacourt se fixe systématiquement des défis narratifs. Dans son livre précédent, On ne voyait que le bonheur (2014), il s'imaginait père infanticide et adolescente. Dans La liste de mes envies (2012), mercière modeste qui gagne le gros lot.

Cette fois, pour Les quatre saisons de l'été, il multiplie les voix: un adolescent, une jeune femme lestée par les chagrins d'amour, un vieil homme, une quinquagénaire... Mais surtout, il opte pour des règles qui ont habituellement cours au théâtre: c'est un roman en quatre actes, en quelque sorte, qui respecte l'unité de temps (tous s'articulent autour du 14 juillet 1999), l'unité de lieu (la station balnéaire du Touquet Paris-Plage) et l'unité d'action (l'amour à 15, 35, 55 et 75 ans). À partir de là, Grégoire Delacourt a imaginé des histoires qui se croisent et se tressent de façon inattendue...

Inattendue notamment parce que l'auteur, comme dans chacun de ses romans, évoque aussi des événements historiques souvent tus, méconnus ou oubliés. Ainsi, le Touquet, toute station balnéaire chic qu'elle soit, fut la première ville occupée par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, et la plus minée de France: il fallut trois ans, une fois le conflit terminé en 1945, pour neutraliser près de 138 000 mines. Exactement 137 950 mines...

«Je me suis demandé pourquoi nos grands-parents demeuraient ensemble toute une vie, nos parents, pendant environ 10 ans et que nous, nous divorcions après cinq ou six ans, explique Grégoire Delacourt. Je crois que c'est notamment parce que les enfants de la guerre, nos grands-parents, savaient dans leur chair que la vie est fragile, que la boucherie humaine est toujours possible, qu'il leur a fallu du courage pour simplement avoir des enfants après l'humiliation de la guerre. Qu'on ait gagné ou perdu, aucune paix ne peut consoler d'avoir été dans l'inhumanité, aucune illusion n'est possible. C'est ridicule, toutes ces chansonnettes qui font rimer «amour» avec «toujours». C'est avec «chaque jour» que doit rimer «amour». Je crois que nos grands-parents l'avaient appris, durement. Mais ils n'avaient pas nécessairement les mots pour le dire.»

Justement jalonné de beaux mots (qui sait que les quadricycles qu'on croise dans le Vieux-Port de Montréal portent le joli nom de «rosalie» ?), architecturé autour de ce langage aujourd'hui oublié qu'est celui des fleurs (l'équivalent subtil et parfumé des textos et émoticônes de notre ère), Les quatre saisons de l'été est dédié à «Dana, Dana, Dana et Dana», la femme du romancier.

«Ça l'a émue, bien sûr, de lire ces mots, parce que c'était une manière de réengagement de ma part, convient Grégoire Delacourt. C'est ma deuxième femme et, je l'espère de tout coeur, ma dernière. Ces quatre histoires, ces quatre saisons, ce sont quatre demandes non pas en mariage, mais quatre demandes en amour. Pour les exprimer, il suffit parfois d'une certaine fleur. J'ai eu l'occasion, en publicité (Grégoire Delacourt a une agence de publicité depuis plusieurs années), de travailler avec des producteurs de fleurs et d'apprendre ce qu'avait été le langage des fleurs à une époque; c'était le langage des timides, avec une très belle grammaire, toute une série de nuances, selon qu'on offrait une jacinthe, une pimprenelle ou telle et telle rose.

«Il faut parfois d'autres moyens que les paroles pour parvenir à dire ce qu'on éprouve, reprend-il. De même qu'il y avait le langage des fleurs, je pense que, pour moi, écrire des romans a été un langage qui m'a permis entre autres de dire à mes parents que je les aimais, à mes filles que je les comprenais...»

Lui qui a toujours évoqué un livre clé dans chacun de ses romans précédents (Belle du Seigneur d'Albert Cohen dans La liste de mes envies, le conte Hansel et Gretel dans On ne voyait que le bonheur...) s'appuie pour la première fois sur une chanson: la belle et mélancolique Hors saison de Francis Cabrel.

«Parce que le roman se déroule en été et que ce sont souvent des chansons, plus qu'un livre, qui nous rappellent un certain été, constate Grégoire Delacourt. Mais en plus, cette chanson de Cabrel, qui a fait un malheur à l'été 1999, je l'ai choisie exprès parce qu'elle parlait d'hiver et de mélancolie! Parce que, même si l'été se prête particulièrement bien à son éveil, l'amour est finalement hors saison, non?»