L'écrivain algérien Kamel Daoud, qui a reçu mardi le prix Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête après avoir manqué de peu le prestigieux Goncourt l'an dernier, est l'un des chroniqueurs politiques les plus lus d'Algérie récemment venu à la littérature.

Daoud est «un stakhanoviste de l'écriture», dit son éditeur du Quotidien d'Oran, un journal francophone. «Il a compté que j'écrivais jusqu'à 300 000 signes par mois!», s'amuse Kamel Daoud, qui signe aussi dans d'autres publications.

Dans son roman, publié en 2013 en Algérie, aux éditions Barzakh, et en 2014 chez Actes Sud en France, Kamel Daoud donne la parole au frère de «l'Arabe» tué par Meursault dans L'Étranger d'Albert Camus. Ce roman du prix Nobel français, publié en 1942 alors que l'Algérie était une colonie française, est un long monologue du meurtrier dont la victime reste totalement anonyme.

Méditation sur l'identité algérienne contemporaine, ce livre a été finaliste en 2014 du Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français. Il a aussi décroché le Prix des cinq continents de la francophonie et le prix François Mauriac.

Ces quelque 200 pages lui ont ouvert le monde.

«Je voulais, j'ai rêvé d'une suite à L'Étranger pour parler de ma condition par le biais d'un personnage. Pas pour régler un compte», explique l'auteur de 44 ans, crâne rasé et regard brun profond. «Tous s'attendent à ce qu'on parle de Camus ou de Meursault pour en faire le procès ou pour s'en faire l'avocat».

«Je rêve aussi d'être jugé, par les miens, parce que d'une certaine manière, je me sens beaucoup plus proche de Meursault que de sa victime», dit-il.

Fils d'un gendarme, Kamel Daoud est né à Mostaganem en juin 1970 dans une fratrie de six enfants. Élevé par ses grands-parents, il a suivi des études de lettres françaises après un bac de mathématiques.

Divorcé et père de deux enfants, Kamel Daoud, qui vit à Oran, tient depuis une quinzaine d'années la chronique quotidienne la plus lue d'Algérie. Des articles au vitriol publiés dans Le Quotidien d'Oran.

Il écrit aussi ses livres en français, qui reste pour lui la langue de la liberté. «La langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes» confiait-il au Figaro.

Critique acerbe du régime d'Abdelaziz Bouteflika, il a forgé deux néologismes à partir du nom du président, «bouteflikiens» ou «bouteflikistes».

Outre la censure officielle, l'écrivain reçoit des courriers anonymes d'islamistes lui reprochant d'être un apostat.

Un activiste salafiste a appelé en décembre sur les réseaux sociaux les autorités algériennes à le condamner à la peine capitale et à l'exécuter. Une initiative interprétée comme une fatwa dans les milieux politiques et intellectuels algériens même si son auteur n'a ni la légitimité ni l'autorité requises.

Kamel Daoud a déposé plainte fin 2014 contre cet activiste.

En janvier après l'attentat contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à Paris, l'auteur se déclarait «effondré, cassé, brisé» sur France Culture, ces attentats lui rappelant «les années terribles de la guerre civile en Algérie».

«J'ai peur qu'on perde face à ces gens-là, qu'ils finissent par gagner» disait-il.

En Algérie, Meursault, contre-enquête a été en rupture de stock et a dû être réimprimé. À la satisfaction sans doute de l'éditeur algérien, Barzakh. «Barzakh, ça veut dire l'isthme en arabe, ce qui sépare et fait se rejoindre en même temps», explique Kamel Daoud.

Kamel Daoud est aussi l'auteur de plusieurs récits dont certains ont été réunis dans le recueil Le Minotaure 504 (Sabine Wespieser), finaliste du Goncourt de la nouvelle 2011.