En faillite depuis le 10 octobre dernier, la maison d'édition La courte échelle renaît de ses cendres. Une entente, dont le montant n'a pas été dévoilé, a été conclue mercredi dernier entre le syndic et le tandem formé de Marie-Ève Talbot et de son père Raymond, l'ancien propriétaire des librairies Champigny.

«On a réussi à rassembler une majorité d'auteurs et on a senti beaucoup d'enthousiasme afin que les activités de l'entreprise se poursuivent. À ce stade-ci, nous sommes sûrs que La courte échelle retrouvera sa rentabilité», a indiqué Marie-Ève Talbot en entrevue avec La Presse

Avec cette transaction, les nouveaux propriétaires conservent l'ensemble du catalogue de la maison, autant les publications jeunesses que les romans pour adultes publiés par les divisions La Mèche et Parfum d'encre. Lors du Salon du livre de Montréal, en novembre dernier, le duo Talbot a rencontré une partie des auteurs pour sonder leur intérêt à poursuivre l'aventure avec eux.

«Les auteurs québécois et canadiens qui acceptent de continuer avec nous, pour les livres publiés et les manuscrits en cours, recouvreront les droits d'auteurs impayés, (un montant qui s'élève a plus de 300 000 dollars)», a promis Mme Talbot. 

«Je suis tellement ravie! J'ai discuté avec (Raymond Talbot) et je trouve que ça vaut la peine d'aller de l'avant avec eux. Ils vont payer toutes les redevances dues, ce qui était inespéré, mais aussi respecter les contrats qui ont été signés. C'est une continuation pour la maison d'édition, il faut faire confiance», a dit Sylvies Desrosiers, qui a publié son premier roman jeunesse mettant en vedette le chien Notdog à La courte échelle en 1987.

«Ceux qui écrivent pour nous représentent la matière première de l'entreprise. Il était primordial de les rembourser afin de maintenir le lien de confiance», a ajouté Mme Tablot. 

La somme que devait la maison d'édition à l'ensemble de ses créanciers s'élevait toutefois à plus de quatre millions, un montant considérable qui ne sera pas entièrement recouvert.  

«Quand une compagnie fait faillite, les dettes tombent à zéro, c'est-à-dire que les créanciers sont remboursés partiellement, à partir du montant payé pour l'entreprise. Dans ce cas-ci, il est certain que tous les créanciers ne seront pas remboursés», a-t-elle dit. 

Qui reste, qui part? 

À ce stade-ci, il n'est pas certain que tous les écrivains associés à la maison d'édition poursuivent leur collaboration. La nouvelle copropriétaire, Marie-Ève Talbot, se fait toutefois rassurante. 

«Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais on a réussi à rassembler les têtes d'affiche. Nous sommes très heureux de poursuivre avec eux la collaboration», a-t-elle dit à La Presse

Parmi ces vedettes, le cas de l'auteure Chrystine Brouillet est sur toutes les lèvres. Restera, ou ne restera pas? 

«Comment dire... Oui, il y aura une suite. Une collaboration, c'est assuré. Une certaine collaboration en fait», a expliqué Mme Talbot, visiblement fébrile, mais réticente à rentrer dans les détails de certaines ententes en cette importante journée pour sa nouvelle entreprise. 

Au moment de publier, Mme Brouillet n'était pas disponible pour commenter la nouvelle. Son agent, Patrick Leimgruber, a pour sa part brièvement affirmé à La Presse que «les nouveaux propriétaires ont racheté le «stock», donc pour le moment, les choses sont telles qu'elles étaient. Pour la suite des choses, par contre, je ne sais pas du tout.» 

Deux mois houleux 

Cette annonce met un terme à deux mois houleux pour La courte échelle. En novembre dernier, La Presse rapportait que le syndic de faillite avait même dû lancer un second appel d'offres afin de trouver de nouveaux acquéreurs, après une première ronde infructueuse dont les propositions avaient été jugées insatisfaisantes. 

«Trois jours avant que l'on apprenne dans les médias que la compagnie était en faillite, les gestionnaires faisaient comme si tout était normal. Mais dans le fond, le bateau avait coulé et on ne le savait même pas», avait alors raconté l'auteure Valérie Fraser, mécontente.

Les nouveaux acquéreurs ont tout de même sollicité la collaboration de l'ancienne présidente de la maison d'édition, Hélène Derome, afin de les aider dans la transition. 

«Hélène a une très grande connaissance de l'édition et de la compagnie, donc elle sera d'une très grande aide pour la transition. Je ne pourrais toutefois pas vous dire ce matin combien de temps durera cette transition», a indiqué Marie-Ève Talbot.

Une bataille politique 

La saga entourant la faillite de La courte échelle est ainsi donc terminée, mais ce n'est pas le cas de tous les aspects soulevés par cette affaire au cours des derniers mois. 

Lorsque le syndic Raymond Chabot a rencontré les créanciers de l'entreprise, en octobre dernier, son représentant avait semé l'émoi en affirmant que les droits d'auteurs étaient vendus avec les actifs de la compagnie, en raison de certaines dispositions de la Loi fédérale sur la faillite et l'insolvabilité. 

Depuis, des juristes se penchent sur la question, autant à Québec qu'à Ottawa. 

«Nous sommes très, très contents que les auteurs soient remboursés, a indiqué à La Presse la présidente de l'Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ), Danièle Simpson. Mais cette question des droits d'auteur et de [la Loi québécoise sur le statut professionnel des artistes et sur leurs contrats avec les diffuseurs] n'est toujours pas réglée. Une nouvelle faillite pourrait remettre ça de l'avant.» 

En novembre dernier, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Bloc québécois ont demandé au gouvernement conservateur de modifier la loi sur faillite afin de protéger les artistes, en vain.

De son côté, le cabinet de la ministre de la Culture du Québec, Hélène David, a toujours répété que des avocats travaillaient sur cette question afin de valider si effectivement la loi québécoise est inopérante en raison de la loi fédérale.

Une rencontre entre l'UNEQ et la ministre David est prévue pour mardi prochain. La question sera alors de nouveau soulevée.