Dans une France déboussolée par l'impuissance politique à surmonter la crise, le polémiste Éric Zemmour défend avec une indéboulonnable assurance sur les plateaux de télévision sa vision catastrophiste du pays, et son nouveau livre Le suicide français fait un tabac.

Ce pavé de 500 pages, déjà vendu à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires deux semaines après sa parution, dénonce les élites politiques, économiques, médiatiques et intellectuelles, accusées d'avoir bradé les valeurs sur lesquelles la France s'est construite, et désigne pour cibles principales l'Europe et l'immigration.

Le succès du livre est dû pour une part à l'aura sulfureuse qui entoure son auteur, un ancien journaliste de 56 ans, véritable bête médiatique que s'arrachent les émissions de talk show, certaines qu'avec lui le spectacle sera au rendez-vous.

Face à des interlocuteurs démontés par son assurance, Éric Zemmour énonce des affirmations qui lui ont déjà valu d'être poursuivi en justice.

Il a été condamné pour incitation à la haine raciale pour avoir dit en 2010 que «la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes». Le 6 mai, il a avancé sur la radio RTL que «les grandes invasions d'après la chute de Rome sont désormais remplacées par les bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d'Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent».

La dernière polémique lancée par ce juif originaire d'Afrique du Nord concerne le régime de Vichy durant l'Occupation allemande. Prenant le contrepied des travaux d'historiens, il a affirmé que le régime dirigé par le maréchal Pétain avait sauvé les juifs français de la déportation en sacrifiant les juifs étrangers. «Un argument totalement vide», a répliqué l'historien Robert Paxton, rappelant que Vichy avait édicté dés juillet 1940 des lois anti-juives sans attendre les injonctions d'Hitler.

Mais si le polémiste a autant de succès, «c'est parce qu'il exprime clairement ce qu'une partie de la population ressent confusément», explique à l'AFP Jérôme Fourquet, politologue à l'institut français d'opinion publique (Ifop).

Éric Zemmour est «le symptôme d'une droitisation de notre société» déboussolée par les évolutions engendrées par la mondialisation, selon Jérôme Fourquet.

«Ses thèses sont majoritaires aujourd'hui malheureusement dans notre société», constate Jean-Christophe Cambadélis, numéro un du Parti socialiste au pouvoir, qui parle de «zemmourisation de la société».

«Il remplit un vide»

«Tous les thèmes réactionnaires classiques ont pris le dessus: l'identité par rapport à l'égalité (...), une liberté pour les Français de souche et pas pour ceux qui sont issus de l'immigration, relativiser l'antisémitisme», regrette-t-il.

«Il vient remplir intellectuellement le vide ouvert par le discrédit général des forces politiques», estime aussi le sociologue Michel Wievorka.

Le sociologue relève cependant que si les thèses du polémiste sont proches du Front National, le parti d'extrême droite dirigé par Marine Le Pen, ou de l'aile dure de la droite classique obsédée par le «déclin français», il se garde de leur être inféodé sous peine de perdre sa crédibilité auprès de ceux qu'il séduit.

«Il se dit isolé dans le paysage politico-médiatique mais majoritaire dans le pays ce qui constitue un levier puissant pour ses idées», souligne Jérôme Fourquet.

«Aujourd'hui, le roi de la transgression c'est lui et le transgressif c'est ce qui se vend le mieux», regrette Alain Jakubowicz, président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).

Michel Wievorka, directeur d'études à l'institut des hautes études en sciences sociales (EHESS), explique aussi l'audience remportée par les discours à l'emporte-pièce du polémiste par l'évolution de la sphère médiatique, «où la figure de l'intellectuel classique n'a plus sa place».

Il relève «une autre dimension importante» du phénomène Zemmour: «autrefois le débat intellectuel français était le coeur du débat mondial», autour de philosophes ou de sociologues comme Jean-Paul Sartre, Michel Foucauld ou encore Pierre Bourdieu. «Aujourd'hui c'est fini. Le débat français est devenu franco-français, provincial. La vie intellectuelle française a perdu de sa centralité».