Après le triomphe de sa trilogie onirique 1Q84, le maître japonais de l'illusion Haruki Murakami renoue avec le réalisme dans son nouveau roman, L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, balade intimiste et grave au pays de la nostalgie.

Délaissant les mondes parallèles, le fantastique et les créatures étranges de sa trilogie-fleuve, ce nouveau titre, de près de 400 pages tout de même, s'est arraché à un million d'exemplaires en deux semaines l'an dernier au Japon. Il sort le 4 septembre en France chez l'éditeur Belfond.

Les oeuvres du plus connu des écrivains japonais contemporains, où l'absurde le dispute au malaise social d'individus hors normes, ont été traduites en cinquante langues.

Ici, son héros, Tsukuru Tazaki, est un trentenaire aisé, apparemment sans histoires : il est architecte, construit des gares, sa passion depuis l'enfance, a des petites amies mais la nostalgie et l'impression douloureuse d'être un «récipient vide» ne le quittent pas. Il se sent transparent, incolore...

«Depuis le mois de juillet de sa deuxième année d'université jusqu'au mois de janvier de l'année suivante, Tsukuru Tazaki vécut en pensant presque exclusivement à la mort». Ainsi commence le nouveau roman d'Haruki Murakami, né à Kyoto en 1949 et élevé à Kobe, plusieurs fois favori pour le Nobel de littérature.

À Nagoya, ils sont cinq amis inséparables. Deux filles et trois garçons. Les noms de quatre d'entre eux se réfèrent à des couleurs. Akamatsu est surnommé Rouge, Ômi, Bleu, Shirane est Blanche et Kurono, Noire. Seul, Tsukuru Tazaki, est sans couleur.

La vie, une partition compliquée

Tsukuru part à Tokyo pour ses études. Les autres restent à Nagoya. Un jour, ils lui signifient qu'ils ne veulent plus jamais le voir. Sans aucune explication. Lui-même n'en cherche pas. Pourtant, ce rejet le ronge.

Pendant seize ans, Tsukuru vit comme Jonas dans le ventre de la baleine, un mort qui n'aurait pas compris qu'il était mort. Il fait des rêves érotiques avec Blanche et Noire, éprouve la jalousie dans ses songes, hallucine...

Puis Sara entre dans sa vie. Tsukuru l'attire mais elle le sent séparé du monde par une frontière invisible et le pousse à enquêter pour confronter le passé et tenter de découvrir ce qui a brisé le cercle. Vivre sans amour n'est pas vivre.

Alors, Tsukuru Tazaki entame un pèlerinage auprès de ses anciens amis à Nagoya et en Finlande, où Noire habite désormais avec son mari.

«Ce n'est pas seulement l'harmonie qui relie le coeur des hommes», comprend finalement Tsukuru. «Ce qui les lie bien plus profondément, c'est ce qui se transmet d'une blessure à une autre. D'une souffrance à une autre. D'une fragilité à une autre».

Pas de sentimentalisme dans ce roman, mais une émotion portée par une langue fluide, des dialogues intimistes et la petite musique qui n'appartient qu'à l'auteur. «La vie ressemble à une partition compliquée», se dit d'ailleurs le héros, sans parler des références musicales qui parsèment le roman, de la pop au jazz, en passant par Liszt.

Haruki Murakami, 65 ans, a étudié la tragédie grecque puis dirigé un club de jazz, avant d'enseigner à l'université aux États-Unis. En 1995, après le tremblement de terre de Kobe et l'attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon.

Traducteur de Fitzgerald, Irving et Chandler, il rencontre le succès dès 1979 au Japon avec son premier livre, Écoute le chant du vent (non traduit). Suivront de nombreux ouvrages parmi lesquels Chroniques de l'oiseau à ressort, Kafka sur le rivage, La Ballade de l'impossible, qui en fait une star dans son pays et le propulse sur la scène internationale.